Chronique parue le 25 décembre sur le site Atlantico
« Donner la vie, c’est polluer ». Depuis des décennies, de nombreux courants de pensée s’emploient à faire tomber l’Homme du piédestal sur lequel nos civilisations l’avaient jusqu’ici placé. Le marxisme réduisait ses aspirations à leurs simples dimensions matérialistes. Les antispécistes ne voient en Lui qu’un animal parmi d’autres, dont les intérêts ne peuvent plus être considérés comme supérieurs à ceux des rats – pardon ! des surmulots -. Quant aux décroissants, ils ne perçoivent l’humanité que comme une masse de consommateurs avides et irresponsables. À force d’être « déconstruit » et « désacralisé », l’Homme est réduit, par certains, au rang d’une vulgaire pollution.
Comme on calcule l’empreinte carbone d’une bouteille plastique tout au long de son cycle de vie, des chercheurs ont établi le coût climatique d’un enfant à la grosse louche en additionnant l’impact de sa propre consommation à celle qu’engendrera sa descendance. Ainsi construit, cet indicateur sonne comme une condamnation sans appel. Un enfant représenterait une pollution de l’ordre de 58,7 tonnes d’équivalent CO2 par an, ce qui correspond à près de 6 fois celle d’un Français moyen et à 55 vols Paris-New-York par an. Faire des enfants, surtout en Occident, est ainsi présenté comme un comportement hautement écocide !
Dans une étude de 2017, des chercheurs canadiens ont cherché à mobiliser les adolescents dans ce combat pour la planète, ces derniers agissant comme un « catalyseur pour changer le comportement de l’ensemble de ceux qui vivent sous leur toit ». Ils se sont intéressés à la façon dont les manuels scolaires évoquaient les meilleurs moyens de réduire l’empreinte carbone. Dans leurs conclusions, ils regrettaient que ces ouvrages insistent surtout sur de « petits gestes » dont l’impact est minime, alors qu’aucun n’évoquait la solution la plus efficace, selon eux, consistant à faire moins d’enfants.
Depuis, qu’ils soient rassurés, ce discours a largement été relayé. Désormais 40 % des jeunes occidentaux hésitent à faire des enfants, selon une étude parue dans The Lancet Planetary Health en septembre 2021[1].La montée de l’écoanxiété qui, toujours selon cette enquête, concerne à des degrés divers 84 % des jeunes occidentaux[2], alimente cette tendance. La Fondation Jean Jaurès s’est intéressée en octobre aux préoccupations et aux comportements de ces jeunes écoanxieux : « en France, 37 % des 16-25 ans hésitent à avoir des enfants face à la perspective du changement climatique », soulignent les auteurs de ce rapport.
Le mouvement GINK se développe en France
L’anti-natalisme a des racines diverses et anciennes. Dans la sphère activiste, c’est un 1972, aux États-Unis, que se structure le mouvement Childfree autour de l’Organisation des Non-Parents. Trente ans plus tard, une partie de l’écologie politique va se convertir à ces thèses.
En France, l’essayiste Corine Mayer publie dès 2007 No Kid. Quarante raisons de ne pas avoir d’enfant. Elle ouvre un filon éditorial et d’autres livres vont suivre comme celui de la sociologue, Anne Gotman, Pas d’enfant. La volonté de ne pas engendrer, ou de Bettina Zourli, Childfree. Je ne veux pas d’enfant. Mais c’est en 2010 qu’une journaliste américaine, Lisa Hymas, va pour la première fois écrire : « je m’identifie comme GINK ». Cet acronyme désigne ceux qui ne veulent pas d’enfants en raison de leur engagement écologique (Green Inclination, No Kids). Elle obtiendra même un prix pour son combat décerné par l’ONG américaine Population Institute. Depuis, le terme est devenu une revendication et le symbole d’un engagement véritable pour la planète. Pour Sophie Ollitraut, sociologue, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des mouvements écologistes : « « durant la dernière décennie, chez les militants écologistes, on a cessé de croire au progrès ». […] Le choix de ne pas donner la vie est devenu constitutif de « l’identité de beaucoup de jeunes militants » »[3].
Profitant de la loi de 4 juillet 2001 autorisant la stérilisation à visée contraceptive, de plus en plus de jeunes se tournent vers cette solution. Si la vasectomie pour les hommes n’est pas une pratique définitive, la ligature des trompes pour les femmes est irréversible. Aussi, certaines jeunes filles se plaignent de la réticence du corps médical à utiliser cette technique en raison de leur âge. Pour leur faciliter la tâche, un groupe Facebook, intitulé Stérilisation volontaire rassemblant plus de 27 000 personnes, recense désormais les professionnels de santé qui acceptent de stériliser sans trop de questions des femmes, même jeunes etnullipares.
Mais, pour certains, ce genre de démarche individuelle n’est pas suffisant. Des chercheurs de Sciences Po Grenoble[4] ont établi qu’un tiers des jeunes qui ont manifesté ou ont soutenu les marches pour le climat seraient prêts à accepter une politique de contrôle des naissances. Ils rejoignent ainsi les positions des mouvements plus radicaux qui prônent la mise en place de politiques antinatalistes, comme Sven, un militant belge, interrogé par le magazine Socialter, en mars 2021 : « J’ai un profond respect pour les Ginks, mais à bientôt 11 milliards, même cette posture n’est plus tenable. […] Le seul geste qui a du sens, sinon le suicide, est d’arrêter d’avoir des enfants à grande échelle ».
Et pourquoi pas aller jusqu’à l’extinction volontaire de l’Homme ? Cette idée, portée depuis 1991 aux USA par le Voluntary Human Extinction MovemenT – VHEMT, est encore marginale, mais son audience progresse y compris en France. Sur la version française de leur site (disponible en plus de 11 langues), ils osent même présenter cette mesure comme une proposition optimiste : « l’alternative optimiste à l’extinction de millions, si ce n’est de milliards d’espèces de plantes et d’animaux est l’extinction volontaire d’une seule de ces espèces : l’Homo sapiens, c’est-à-dire nous ». Sic !
Ce phénomène et ces idéologies clairement antihumaine, et par là même antihumaniste, prospèrent sur le terreau de la haine de soi et d’une culpabilisation sans limite des jeunes occidentaux. Si nous voulons que des enfants continuent de fêter Noël, il convient de retrouver foi en l’Homme, en sa créativité, en son génie et en sa capacité à réenchanter le monde. L’esprit de Noël, c’est peut-être cela l’antidote que nous cherchons pour faire face à ces idées folles.
Par Olivier Vial
Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités
[1]Young People’s Voices on Climate Anxiety, Gouvernement Betrayal and Moral Injury : A Global Phenomenon.
[2] Ils sont 84 % à se déclarer « inquiets » à propos du réchauffement climatique et 59 % à se dire « extrêmement inquiets ».
[3] Socialiser, n°44, février-mars 2021.
[4]Chloé Alexandre, Florent Gougou, Erwan Lecoeur, Simon Perisco, Rapport descriptif de l’enquête sur le mouvement climat (Pacte). Rapport de recherche – Sciences Po Grenoble ; Pacte – Université Grenobles Alpes, 2021, 43 p. halshs-03342838 .