Interview croisé pour le site Atlantico avec Olivier Vial, Jean-François Braunstein, Carine Azzopardi
Atlantico : Claudine Gay a annoncé sa démission de son poste de présidente de l’Université Harvard. Elle annonce qu’elle démissionne après des accusations de plagiat. Ne s’agit-il pas plutôt de propos tenus lors d’une audition tendue au Congrès sur la lutte contre l’antisémitisme sur les campus universitaires américains ?
Jean-François Braunstein : A la question posée par l’élue républicaine Elise Stefanik de savoir si « appeler au génocide des Juifs violait le règlement sur le harcèlement à Harvard, oui ou non ? », Claudine Gay se contenta de répondre à plusieurs reprises : « Cela dépend du contexte », ce n’est répréhensible que « si c’est dirigé contre une personne ». Les autres présidentes répétaient en boucle des formules analogues, se refusant à condamner les manifestations propalestiniennes sur leurs campus. Elise Stefanik a alors invité Claudine Gay et les deux autres présidentes à démissionner. Une motion de 70 membres du Congrès fit ensuite la même demande. Sous la pression des donateurs de son université, la présidente de Penn a démissionné dès le 9 décembre.
Claudine Gay, qui avait dans un premier temps été soutenue par son Conseil d’administration, vient juste de le faire. Cette controverse a en effet attiré l’attention sur d’autres problèmes propres à Claudine Gay. On s’est vite rendu compte que son dossier scientifique, essentiel pour un recrutement universitaire, était extrêmement léger : aucun livre en nom propre, une codirection d’ouvrage et onze articles dans des revues à comité de lecture en 23 ans de carrière. Avec un tel dossier on serait à peine recruté comme ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) dans une université française.
De plus il s’avère désormais que sa thèse, comme quatre au moins de ses articles, ont été assez largement plagiés. Le plagiat est même lunaire puisqu’elle a emprunté à d’autres auteurs les formules de remerciements adressées à un membre de son jury de thèse (« il m’a rappelé l’importance d’obtenir des données correctes et de suivre leur direction sans crainte ni faveur ») ou à sa famille (elle « m’a poussé beaucoup plus fort que je ne le voulais parfois »). Malgré cela l’administration de Harvard l’a d’abord soutenue, disant que ce n’était rien de grave, qu’elle avait oublié des guillemets et des références, mais qu’elle ferait des corrections. Et cela alors que des étudiants peuvent être renvoyés pour les mêmes fautes.
Les révélations menaçant de s’accumuler et mettant à mal la réputation d’excellence de Harvard, le conseil d’administration a fini par la lâcher, à contrecœur.
Olivier Vial : Rappelons que quelques heures seulement après la découverte des massacres dans les Kibboutz, alors même que la riposte israélienne n’avait pas encore débuté, 35 organisations étudiantes d’Harvard ont créé un comité de soutien à la Palestine. Dans un communiqué, ces associations tiennent « le régime israélien pour entièrement responsable de toutes les violences qui se déroulent », dénonçant « la violence israélienne » et « les représailles coloniales », ainsi que la politique d’« apartheid » prétendument menée par l’État hébreu. La violence de cette diatribe a provoqué de nombreuses tensions au sein du campus ; des étudiants juifs ont subi des intimidations ; certains grands donateurs ont annoncé qu’ils mettaient fin au financement de l’université, regrettant le laxisme et l’indulgence de la direction de l’établissement vis-à-vis des actions de ce comité pro-Palestine. Mais l’affaire a véritablement touché le grand public suite à la diffusion sur les réseaux sociaux des extraits de l’audition de Claudine Gay menée le 5 décembre dernier au Congrès. Cela signifie-t-il donc que pour elle, il existe un contexte dans lequel appeler au génocide des Juifs ne représente pas un problème, que ce n’est pas une forme de harcèlement ?! Ce fut un véritable électrochoc pour une grande partie de l’opinion américaine, mais aussi mondiale.
Beaucoup ont alors découvert le deux poids deux mesures qui structurent aujourd’hui la vie publique sur les campus américains, mais aussi, même si c’est dans une moindre mesure, rançais. Les mêmes administrations qui traquent les microagressions dans les moindres recoins des programmes, qui dénoncent le fait de mégenrer une personne comme une violence grave, qui incitent les enseignants à recourir aux trigger warnings afin de prévenir en début de cours que certains de leurs propos pourraient heurter la sensibilité de certains de leurs étudiants, qui mettent en place des safe spaces afin que les étudiants issus de minorités puissent se retrouver dans un espace dans lequel ils n’auraient pas à subir le regard empreint de racisme systémique de leurs congénères… Ces mêmes administrations n’arrivent pas à condamner des appels au génocide de Juifs au prétexte qu’ils sont portés par des étudiants issus de minorités. Le syllogisme est connu : les personnes issues de minorités sont dominées ; les dominés sont les victimes ; les victimes ne peuvent pas être les coupables ; donc les personnes issues des minorités ne peuvent pas être coupables.
Carine Azzopardi : Elle n’est pas la seule présidente d’université à avoir tenu des propos controversés devant le Congrès américain le 5 décembre dernier. Elles étaient trois : Sally Kornbluth, du Massachusetts Institute of Technology, Elizabeth Magill, présidente de l’université de Pennsylvanie, et donc Claudine Gay, présidente de l’université d’Harvard. Elles avaient été invitées à venir s’expliquer sur les événements survenus dans leurs universités dans la foulée de l’attaque terroriste du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre. Des manifestations avaient eu lieu sur plusieurs campus, aux cris de « mort aux juifs ». Des étudiants juifs d’une université new yorkaise avaient même été obligés de se barricader à la fin du mois d’octobre parce qu’ils se sentaient menacés par une foule hostile.