CERU

Par Olivier Vial

Le 12 avril 2025 à 7h44

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Longtemps sous-estimée, la menace que constitue l’ultra-gauche éclate désormais au grand jour, souligne Olivier Vial, directeur du CERU et responsable du programme de recherche sur les Radicalités.

TRIBUNE parue dans le JDD, le 10 avril 2025.

Des appels à l’émeute circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux en vue des manifestations du 1er mai. Des groupes d’extrême gauche, mais aussi certains attachés parlementaires de La France insoumise, relaient des messages invitant à « déborder le dispositif » policier à cette occasion. Derrière cet euphémisme militant, la consigne est claire et bien connue : contourner les cordons de CRS, passer en force, créer des points de rupture pour provoquer des affrontements. Le préfet de police de Paris, Laurent Nunes, vient de saisir la justice au titre de l’article 40 pour des faits susceptibles de relever de la provocation à commettre des violences et des dégradations contre ceux qui partagent ces messages.

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Un contexte tendu

La menace est d’autant plus prise au sérieux qu’elle s’inscrit dans un contexte extrêmement tendu. Depuis plusieurs semaines, les signaux d’alerte se multiplient : le 8 avril, un McDonald’s a été totalement incendié à Montrabé (Haute-Garonne) par un groupuscule d’ultragauche se faisant appeler, pour la circonstance, « Les frites insoumises », au prétexte que la firme américaine soutiendrait Israël. Le 30 mars, pour des motifs similaires, ce sont près d’une centaine d’activistes masqués et vêtus de combinaison blanche qui ont vandalisé et saboté les équipements de l’entreprise Teledyne à Saint-Égrève (Isère). Le 3 mars, une concession Tesla a été attaquée à Toulouse dans le cadre de la campagne « Crame une Tesla », entraînant plus de 600 000 euros de dégât.

Une stratégie : entretenir le chaos et espérer l’insurrection

Sur les campus, l’ultragauche multiplie les actions violentes : coups et menaces contre des militants de l’UNI sur les campus de Brest, Rennes, Paris, Toulouse, chasse aux professeurs à Sciences Po Strasbourg, professeur empêché de faire cours à Lyon 2… la liste s’allonge chaque jour. Elle ne relève pas des simples faits divers. Elle s’inscrit dans une stratégie : entretenir le chaos et espérer l’insurrection, le fameux « soulèvement », mot clef désormais de toutes les revendications.

Une menace longtemps sous-estimée

Pendant des années, chercheurs et magistrats ont regardé ailleurs. L’extrême gauche violente, ses structures, ses objectifs, ses relais, n’ont pas fait l’objet de la même vigilance que les autres radicalités. Dans son ouvrage sur la violence politique en France, Isabelle Sommier, soulignait même « la quiétude relative de nos sociétés ». Pour elle, entre 1986 et 2019, la violence politique était résiduelle en France et concentrée sur la Corse en raison des actions des mouvements indépendantistes. Au prix d’agrégation discutable, comparant des agressions isolées commises souvent sous l’emprise de l’alcool – ce qui ne diminue pas leur gravité mais relativise leur portée politique – avec des actions pensées et coordonnées, elle parvenait même à établir que la violence politique était alors plutôt le fait de la droite que de la gauche radicale. Quant aux violences à caractère sociétal (écologie radicale, néoféminisme, antispéciste, décolonialiste…), elles ne représentaient selon eux que 5 % des événements recensés.

Une nouvelle dynamique radicale est née et les violences de l’ultragauche sont devenues hégémoniques

L’année 2015 marque une véritable rupture. Isabelle Sommier note qu’entre 2015 et 2019, la part des violences sociétales bondit pour atteindre 39 % des violences politiques observées. Depuis, la frontière entre violence d’ultragauche et violence sociétale est tombée. Au nom des combats intersectionnels, de la lutte contre la capitalocène et le néocolonialisme, une nouvelle dynamique radicale est née et les violences de l’ultragauche sont devenues hégémoniques.

Grenoble, fief de l’ultra-gauche

Le 30 janvier 2025, le procureur de Grenoble, Éric Vaillant, au moment de quitter ses fonctions dans cette ville, avait tenu à souligner la menace trop longtemps sous-estimée que faisait peser l’ultragauche sur nos vies. Ils notaient : « l’ultragauche à Grenoble, c’est un attentat tous les six mois en moyenne ». Et pourtant, jusqu’à présent le parquet antiterroriste préfère déléguer ces affaires aux juridictions locales. Dans un entretien accordé à France Télévisions, il poursuivait : « Ces attentats n’ont pas encore été qualifiés ainsi par le pôle national antiterroriste. Mais il y a à Grenoble un fief de l’ultragauche insurrectionnelle. Les gens qui commettent ces attentats sont plutôt des intellectuels, plutôt des malins ».

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Cette montée de la violence politique et de son impact sur nos entreprises est désormais une inquiétude largement partagée. Dans son dernier baromètre des risques, paru en janvier 2025, l’assureur Allianz classe les risques activistes et politiques devant les incendies et les risques climatiques, à la quatrième place des préoccupations majeures des entreprises.

Une violence théorisée et légitimée

Cette violence n’est pas une dérive involontaire, c’est une stratégie pensée, assumée et relayée par des figures universitaires désormais adoubées par les milieux radicaux. Andreas Malm, figure centrale de cette mouvance, intervenant pour l’Institut de la Boétie, le centre de formation de LFI, auteur de Comment saboter un pipeline, plaide pour une « complémentarité des tactiques ». Dans sa bouche, cela signifie que les actions illégales et violentes ne sont pas opposées à la lutte non-violente, mais au contraire nécessaires pour créer la crise, pour forcer la main aux modérés. Il parle d’une « loi de l’augmentation tendancielle de l’acceptabilité de la violence dans un monde en réchauffement rapide ». Autrement dit, plus la situation devient tendue, plus la violence deviendrait non seulement utile, mais légitime.

« Il ne faut pas avoir peur de poser la question de la nécessité, de la possibilité, pour nous de l’usage planifié de la violence politique, de la lutte armée »

Un message reçu 5/5. Le 28 novembre 2023, un appel glaçant a circulé sur plusieurs canaux de l’ultragauche : « Il ne faut pas avoir peur de poser la question de la nécessité, de la possibilité, pour nous de l’usage planifié de la violence politique, de la lutte armée ». Cet appel à la constitution d’un « groupe autonome clandestin organisé de manière paramilitaire » n’a suscité aucune réaction politique d’ampleur. Or, il pose la question centrale de la logique de surenchère inévitable entre l’ensemble de ces mouvements radicaux. Aller toujours plus loin pour se démarquer des autres, des « mous », de ceux qui n’ont pas le courage nécessaire… la rhétorique est aussi connue que dangereuse. Elle installe un engrenage fatal.

Violence contre les personnes

Que se passera-t-il demain si les attaques matérielles ne suffisent plus ? Lorsqu’un militant estimera que seule la violence contre des personnes « fait bouger les lignes » ? En juin dernier, sur France Inter, Léna Lazare, porte-parole des Soulèvements de la Terre, répondait ainsi à la question : « Pour l’instant ce n’est pas dans les projets, […] c’est des choses que l’on peut envisager, et c’est sans doute des questions que vont se poser d’ici quelques années très sérieusement des militants écologistes ».

Un mouvement organisé qui étend son emprise sur nos universités et menace nos entreprises

Si l’on veut avoir une chance de stopper cette spirale radicale avant qu’il ne soit trop tard, il faut avoir le courage de la regarder en face, de cesser de la minimiser. Ne jamais oublier que les auteurs de ces violences ne sont pas de simples marginaux, des zadistes en perte de repère : c’est un mouvement organisé qui étend son emprise sur nos universités, notre jeunesse, et menace désormais nos entreprises ainsi que nos infrastructures vitales (réseaux électriques, ferroviaires, numériques…). Ayons, en la matière, comme Péguy nous y invite le courage de « voir ce que l’on voit ».

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