La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a confié à Laurent Bonelli et Fabien Carrié, sociologues et chercheurs de l’Université Paris Ouest Nanterre, le soin de mettre en œuvre une recherche inédite sur le phénomène de radicalisation chez les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
Après 18 mois de recherche et 133 dossiers de mineurs étudiés (96 garçons et 37 filles) liés pour l’essentiel à l’islamisme violent (mais aussi une quinzaine de nationalistes basques, corses et militants d’extrême droite), les chercheurs viennent de rendre leur rapport à Nicole Belloubet, ministre de la Justice.
Ils apportent des conclusions loin des clichés et une source de réflexion nouvelle sur les processus de radicalisation.
On y apprend que ce n’est pas dans les familles les plus déstructurées que l’on trouve les mineurs radicalisés les plus violents.
Les chercheurs démontrent que les actes les plus sérieux sont perpétrés par ceux que l’on attendait le moins : jeunes issus de familles stables, pour la plupart inconnus des services sociaux, plutôt bons élèves et avec des parents actifs, et non pas par les jeunes les plus précarisés des quartiers populaires, pourtant régulièrement confrontés à la violence.
En effet, les mineurs délinquants habituellement suivis par la PJJ sont moins enclins à basculer dans un processus de radicalisation violente de type association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Cela va à l’encontre des a priori faisant de l’engagement radical et du passage au terrorisme le propre d’individus les plus précaires.
Les chercheurs distinguent 2 profils de jeunes radicalisés : les révoltés et les engagés, et 4 formes de radicalités.
Ces jeunes les plus proches de la délinquance sont les plus éloignés des passages à l’acte les plus sérieux (préparation d’attentats ou départ en Syrie).
– Radicalité apaisante : ce premier groupe voit en la radicalisation une forme de mise en ordre de désordres familiaux, notamment via la religion. La conversion est perçue comme la recherche d’un cadre qui n’est pas donné par des environnements familiaux marqués par la violence et l’incertitude, et comme une manière de s’opposer aux parents qui en sont jugés responsables.
– Radicalité agonistique : cette radicalité se manifeste par des oppositions frontales et individuelles aux parents. La conversion à l’islam s’intègre dans une conflictualité adolescente assez classique. La lecture des dossiers qui relèvent de ce registre de radicalité laisse une impression persistante de profonde colère.
– Radicalité rebelle : les jeunes sont en opposition directe aux institutions et répercutent cette opposition en adoptant une forme de radicalisation. Ils sont plutôt à la recherche d’une image à la fois valorisante et potentiellement menaçante vis-à-vis de l’extérieur. Ces mineurs aux trajectoires sociales et familiales les plus chaotiques, les plus proches du monde des bandes et de la délinquance restent singulièrement absents des formes de passage à l’acte les plus sérieuses (départ en zone irako-syrienne, tentative d’attentats). Ils sont plutôt suivis pour des comportements ou des propos inquiétants ou poursuivis pour apologie du terrorisme.
Les engagés représentent les mineurs ayant commis les actes les plus graves (tentative de départ, retour de zone, préparation d’attentat, participation active aux réseaux jihadistes sur internet). C’est la radicalité pour laquelle l’engagement des mineurs dans la violence est le plus fort.
– Leur radicalité est qualifiée d’utopique.
Généralement de bons élèves, ces jeunes vivent comme une désillusion le passage du collège au lycée. Compétition scolaire plus forte, orientation en classe technologique ou déceptions familiales correspondent souvent aux prémices de l’engagement radical. Les engagés voient leurs perspectives d’avenir brutalement démenties et ils vont alors rejeter en bloc les institutions. Les dispositions scolaires et le capital culturel dont ils disposent sont réinvestis et réorientés dans une idéologie radicale. Du fait de leur profil éducatif et culturel, ils n’ont aucune expérience du monde carcéral : ils n’ont ni les codes ni les ressources pour s’adapter et peuvent vite devenir «victimes» en prison. Cela rend leur prise en charge complexe.
Sur les 133 mineurs, 56 ont été identifiés comme relevant du groupe des révoltés et 77 du groupe des engagés.
L’origine géographique des parents est fortement contrastée. Pour le groupe des révoltés, les aires géographiques de provenance des parents sont dispersées : sur l’ensemble des pères des mineurs de ce groupe, 8,9% viennent d’Afrique, 6% d’Europe, 10,7% sont issus des pays du Maghreb et 2% du Moyen Orient. Pour le groupe des engagés, on constate une surreprésentation de parents issus des pays du Maghreb (45,5% de l’ensemble des pères et 40,3% de l’ensemble des mères).
Dans le groupe des révoltés, le taux des jeunes dont les deux parents sont issus de l’immigration est de 17,8%, alors qu’il monte à 40,3% pour le groupe des engagés.
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