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Olivier Vial analyse la convergence des mouvements écologistes et anticapitalistes, illustrée par les manifestations violentes de Les Soulèvements de la Terre et Bassines Non Merci. Malgré une préparation minutieuse, la mobilisation récente dans les Deux-Sèvres n’a attiré que 5 000 à 6 000 participants, échouant à atteindre leurs principaux objectifs de perturbation.

Par Olivier Vial

Le 25 juillet 2024 à 10h13

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Tribune parue dans le JDD, le 23 juillet, par Olivier Vial, directeur du CERU

Une supérette pillée, des agences bancaires saccagées, un Ehpad envahi, du mobilier urbain et des panneaux publicitaires détruits, des SUV vandalisés, des commerçants pris à partie et des membres des forces de l’ordre canardés à coups de mortiers d’artifice. Difficile de croire que l’écologie, la « défense de l’eau » et la lutte contre les « méga-bassines » soient la principale motivation des activistes responsables de ces actions. D’autant plus, que deux cents d’entre eux, venant d’Allemagne, de Suède, d’Italie, ont parcouru des milliers de kilomètres avec un véritable arsenal dans leurs bardas (plus de 1400 armes par destination ont été saisies au total par les forces de l’ordre).

Alors quel peut bien être le dénominateur commun entre les agriculteurs de la Confédération paysanne, les faucheurs volontaires anti OGM, les zadistes des Soulèvements de la terre, les activistes d’Extinction Rebellion, d’Alternatiba, de Terre de lutte, de Bassines Non Merci, les membres du Réseau Sortir du Nucléaire, les héraults antimondialisation d’ATTAC, les syndicalistes de la CGT ou de Solidaires, les adeptes du black bloc et les nervis antifas qui ont tous appelé à converger cette semaine vers le village de l’eau de Melle dans les Deux-Sèvres ?

Une telle coalition n’est pas toujours allée de soi. Longtemps le dialogue entre écologistes et militants de l’ultragauche fut difficile. Ces derniers accusaient les premiers d’être des « petits bourgeois » déconnectés des réalités et des combats sociaux. Pendant des années, en défendant l’idée de développement durable, les écologistes furent même considérés comme des alliés du capitalisme proposant des moyens de le rendre acceptable au lieu d’essayer de le faire tomber.

Mais, au cours des cinq dernières années, la pensée anticapitaliste, notamment sous l’influence des écrits de l’universitaire et activiste suédois Andréas Malm, a profondément pénétré les mouvements écologistes. Elle a imposé ses mots (capitalocène, accaparement, surconsommation …) et ses méthodes (manifestations violentes, flanc radical, désobéissance civile, sabotages…) favorisant une réelle convergence des luttes.

Les Soulèvements de la terre sont l’un des fruits de cette évolution. En quelques années, ils ont réussi à imposer leur leadership. Les menaces de dissolution ont même dopé leur croissance. Désormais, ils disposent de 170 comités locaux et d’une large base de mobilisation. Dans une note de mars 2023, rendue publique par le site Reporterre, les Renseignements territoriaux soulignaient que « le noyau dur des SLT, composé initialement de stratèges d’ultragauche, s’est progressivement élargi à des militants issus de collectifs environnementaux comme Extinction Rébellion […] ; ce mouvement a su incarner le concept de transversalité des luttes, en rassemblant associations, syndicats et mouvements écologistes autour de combats communs ».

Finie l’écologie des petits pas prôné par le mouvement Colibri, car désormais tous semblent se retrouver dans la devise de Chico Mendès[1] : « L’écologie sans lutte des classes, ce n’est que du jardinage ». S’ils viennent d’horizons et de traditions militantes différents, ils souhaitent tous imposer la décroissance, quitte à renverser le capitalisme et notre système économique pour cela.

Dès lors, pour beaucoup, la défense de l’eau n’est qu’un prétexte, l’illustration d’un combat plus large contre l’agro-industrie, la mondialisation, l’emprise capitaliste. D’autres plus stratèges ont compris que l’eau pouvait également devenir un instrument permettant d’imposer inexorablement la décroissance. En effet, sans dispositif de réserves d’eau, de nombreux secteurs (agriculture, élevage, tourisme…) seront, dans un avenir proche, contraints de réduire leurs activités et leurs productions faute d’accès à la ressource. En empêchant le développement des retenues de substitution, ils préparent de futures pénuries qui nous contraindront malgré nous à emprunter la voie de la décroissance vers laquelle ils nous poussent.

Une mobilisation en demi-teinte

Depuis près de 6 mois, Les Soulèvements de la terre et le collectif Bassines Non Merci préparaient cette grande mobilisation. Ils espéraient marquer les esprits et l’opinion publique mondiale à quelques jours du début des Jeux olympiques en réitérant l’opération de Sainte Soline. Le 25 mars 2023, plus de vingt mille activistes avaient défié les forces de l’ordre pendant plusieurs heures. Le bilan fut lourd : 47 gendarmes et 200 activistes blessés.

Cette fois-ci, la présence très importante des forces de l’ordre, plus de 3000 gendarmes, des drones, des hélicoptères et les barrages filtrants mis en place très en amont des mobilisations, a permis d’éviter qu’un tel scénario ne se répète. D’après les premières remontées, moins d’une dizaine de blessés sont à déplorer et seulement 7 interpellations ont été réalisées ; les dégâts matériels à La Rochelle sont eux assez importants[2].

Pour les organisateurs de cette mobilisation, c’est un demi-échec. Ils ont certes réussi à attirer pendant deux jours l’attention des médias sur leurs actions, mais leur mobilisation a été beaucoup moins importante qu’espérée. Ils attendaient plusieurs dizaines de milliers de participants, ils ne furent qu’entre 5 et 6 000, dont 500 militants très radicaux. Presqu’aucun de leurs objectifs n’a été réellement atteint ; ils n’ont pas réussi à pénétrer sur le site de la coopérative Terrena qu’ils visaient vendredi ; ils ne sont pas plus parvenus à bloquer durablement le port de la Rochelle. La seule victoire qu’ils revendiquent c’est le sabotage d’une « bassine » appartenant à un industriel de ferme usine de volailles, le groupe Pampr’oeuf, à l’aide d’un procédé inédit. En effet, le collectif des Naturalistes des terres est arrivé à y introduire des graines de lentilles d’eau. Cette plante aquatique prolifère très rapidement. Ils espèrent ainsi qu’elles viendront boucher les pompes de la bassine pour la rendre inexploitable. Ce collectif n’en est pas à son coup d’essai. Il se présente comme le chef d’orchestre du « combat interespèces » contre le capitalisme et les grands projets. Il s’est spécialisé dans les actions consistant à introduire ou attirer des espèces protégées sur les sites des chantiers pour obtenir de la justice l’arrêt des travaux.

En introduisant vendredi cette plante invasive qui menace l’équilibre des écosystèmes dans lesquels elle est importée, ils ont fait la démonstration que, pour eux comme pour leur grand frère des Soulèvements de la terre, la lutte contre le capitalisme passe bien avant celle en faveur de la défense de la biodiversité ou de l’écologie. Les masques sont en train de tomber et le débat sur notre gestion future de la ressource en eau mérite bien mieux que ce genre d’extrémistes pour le mener.


[1] Une figure du militantisme écologique et syndical au Brésil qui est mort assassiné en raison de ses combats.

[2] Nous n’avons pas encore de chiffrage au moment où j’écris ces lignes.

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