La promesse présidentielle d’établir un service national obligatoire et universel d’une durée d’un mois et pour l’ensemble d’une même classe d’âge, semble poser de gros problèmes au gouvernement et suscite de nombreux doutes. En témoigne l’incroyable cacophonie de ces derniers jours.
Tout a commencé par l’affirmation de la ministre des Armées Florence Parly le 9 février que le futur SNU « n’aura probablement pas un caractère obligatoire, au sens où les gendarmes viendraient rechercher le réfractaire, mais ce sera un service qu’on cherchera à rendre attractif pour les jeunes afin qu’ils soient incités à le réaliser ». Déclaration logique dans la bouche d’une ministre qui sait à quel point ce projet crispe les armées.
Deux jours plus tard, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb corrige le tir de sa collègue : « En indiquant «pas obligatoire», la ministre a voulu dire «pas punitif»: elle n’a pas remis en cause sa vocation universelle, c’est-à-dire ayant vocation à concerner tous les jeunes. »
Alors, qui croire ?
En plus des déclarations contradictoires, les rapports publiés sur le sujet s’accumulent et sèment la confusion. Pour tenter d’y voir plus clair, voyons ce qu’ils proposent.
Le rapport du COJ : un service non obligatoire
Le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ), une instance consultative sur les questions de jeunesse auprès de Matignon, a ouvert le bal en remettant début février un avis au ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, sur la mise en oeuvre du SNU.
Il dresse quatre scénarios allant d’une à quatre semaines, sans indiquer sa préférence.
– Le premier propose d’étaler sur une semaine l’actuelle Journée Défense et Citoyenneté.
– Le deuxième scénario consiste à porter le service national à un mois, dont deux semaines de « tronc commun » à la fois sur la citoyenneté, l’engagement et la formation à l’esprit de défense.
– Le troisième, « pluriel », d’une durée d’un mois, reprend le contenu des scénarios précédents en matière d’insertion sociale et professionnelle, de citoyenneté et d’engagement, avec une semaine consacrée à l’esprit de défense.
– Le quatrième scénario fait état d’un mois de service national militaire.
L’encadrement militaire serait confié aux différents corps en uniforme, gendarmes, pompiers, et pas seulement à l’armée. Le futur service national universel s’appuierait aussi largement sur le secteur associatif.
Le rapport ne tranche pas non plus sur la classe d’âge visée : les 18-21 ans, ou les 16-18 ans ?
En revanche, il se dit « favorable à un service national universel non obligatoire », pour éviter de « provoquer une rupture dans le parcours de formation, d’emploi ou dans la vie de famille du jeune ».
Selon le COJ, le gouvernement pourrait tester ce service national sur la base du volontariat en 2019, avant de le généraliser en 2020.
Le coût de l’opération est estimé à un milliard d’euros, soit beaucoup moins que la fourchette de 2 à 3 milliards qui avait été évoquée pendant la campagne électorale.
Rapport inter-inspections : un service obligatoire
Commandé en septembre par Edouard Philippe auprès des cinq inspections générales (administration, armées, finances, éducation, jeunesse et sports), ce rapport « relatif à la mise en place d’un service national universel et obligatoire » présente quant à lui trois scénarios.
Le premier repose sur un mois complet avec une formation militaire élémentaire, de l’éducation civique et citoyenne et des activités sportives « de cohésion ».
Le deuxième scénario, d’un mois lui aussi, propose d’élargir la journée de la citoyenneté à cinq journées, complétées de trois semaines, avec « des engagements à préciser ».
Le troisième scénario prend la forme d’un parcours entre 16 et 20 ans, avec les établissements scolaires. Encadré par des militaires d’active ou de réserve, des professeurs rémunérés dans le cadre des heures supplémentaires et des éducateurs sportifs, il se décline avec ou sans hébergement.
Dans l’hypothèse d’hébergement, les rapporteurs évoquent les 226.000 places d’internat des lycées et collèges pouvant être utilisées durant les vacances d’été, voire les 120.000 places des CROUS (centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires). Cette option semble pour le moins complexe car ce scénario supposerait de mobiliser pendant l’été les personnels d’entretien des collectivités, les enseignants et les militaires. « Le réseau enseignant serait sollicité sous forme d’heures supplémentaires bonifiées, notamment les professeurs d’histoire et de géographie et d’éducation physique et sportive ».
Mais les rapporteurs ne semblent pas croire eux-mêmes à la faisabilité du SNU :
« Les positions exprimées à ce jour sur le service universel d’un mois font ressortir d’importantes réserves tenant à la fois au caractère obligatoire de ce service, à l’importance des moyens matériels et humains à mobiliser pour accueillir et encadrer toute une classe d’âge, pendant plusieurs semaines, aux doutes exprimés sur la possibilité d’entretenir un résultat significatif, en un mois, au regard des objectifs affichés », concluent-ils.
Le coût de fonctionnement est évalué de 2,4 à 3,1 milliards d’euros annuels selon les scénarios.
Enfin, le rapport d’information de l’Assemblée nationale co-écrit par Marianne Dubois (LR) et Emilie Guérel (LREM) et présenté le 14 février à la Commission de la Défense nationale et des forces armées, ajoute à la confusion en proposant un service étalé dans le temps, sous la forme d’un « parcours citoyen en trois étapes », franchies entre 11 et 25 ans, insistant sur la nécessité d’associer «de multiples acteurs, au premier rang desquels l’Éducation nationale».
Première étape, au collège, au travers de deux phases, «l’une obligatoire et uniforme, l’autre reposant sur des initiatives locales».
– Phase 1 : le rapport préconise de valoriser l’enseignement moral, civique et militaire qui existe déjà et qui est délivré dans les cours d’histoire-géographie et d’instruction civique et d’en faire une vraie matière. Les deux députées expliquent en commission qu’il faut «s’appuyer sur l’école pour déployer cette première phase» car «intervenir dans le cadre scolaire serait logique et pratique». La phase «obligatoire et uniforme» impliquerait une «réforme de l’enseignement de défense» afin «de mieux l’identifier, le valoriser et l’évaluer». Celui-ci deviendrait un «enseignement dédié, évalué régulièrement par des contrôles et qui pourrait être inscrit en propre au programme du brevet», dispensé dès la 6ème.
– Phase 2 : les deux députées proposent d’instaurer une «semaine annuelle de la Défense et de la Citoyenneté» obligatoire de la sixième à la troisième, pendant le temps scolaire au mois de juin ou durant les vacances scolaires «au même moment sur l’ensemble du territoire». Cette semaine annuelle «serait organisée autour de cinq modules : défense et sécurité, résilience, droits et devoirs, mémoire et engagement, bilan individuel». Les chefs d’établissement auraient «une certaine liberté» pour la mettre en œuvre. «Elle serait l’occasion d’ouvrir l’école à des intervenants extérieurs afin de ne pas faire reposer son organisation et sa conduite sur le seul personnel de l’Éducation nationale».
Deuxième étape, à 16 ans : les députées préconisent d’instaurer une semaine de défense et de citoyenneté et envisagent deux scénarios : cinq jours en internat dans un centre régional pour apprendre les gestes qui sauvent, faire un bilan de santé et un bilan de compétences, ou cinq jours en immersion au service de l’intérêt général (armée, associations, collectivités). Cette semaine pourrait avoir lieu dans les internats des lycées publics, durant les vacances scolaires. A l’issue de cette semaine, une cérémonie protocolaire publique permettrait aux jeunes de recevoir un Passeport de la Défense et de la Citoyenneté.
Entre 16 et 25 ans, une troisième étape facultative serait prévue permettant « une incitation à l’engagement dans des dispositifs éprouvés : service civique, garde nationale, engagement associatif… ». Marianne Dubois et Emilie Guérel souhaitent valoriser l’engagement dans le parcours universitaire et le prendre en compte dans les évaluations.
Pour ajouter à la cacophonie générale, les parlementaires estiment avoir travaillé dans de très mauvaises conditions. Selon elles, leur rapport ne plaisant pas à l’Élysée, tout a été fait pour les gêner et Matignon aurait même refusé de leur communiquer le texte du rapport inter-inspections.
Quelle option sera choisie ?
Le groupe de travail chargé de mettre en forme le projet a été dévoilé le 16 février. Il devrait rendre ses travaux le 30 avril prochain et l’expérimentation du service national universel devrait débuter en 2019.
Constitué de sept personnes, il est présidé par le général de brigade Daniel Ménaouine (ancien chef d’état-major de la Minusma au Mali), laissant penser que les armées seront plus impliquées que ce qui avait été annoncé jusque-là. Ils vont devoir définir les contours du projet, trancher sur sa forme, sa durée et sa vocation universelle, sachant que le problème majeur du coût lié au nombre de jeunes concernés (environ 600.000 par an) et des capacités d’accueil des armées, réduites depuis la suppression en 1997 du service militaire, sera difficilement conciliable avec les engagements d’économies du gouvernement sur le quinquennat…
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