Chronique parue sur le site Atlantico, le 12 mars 2023.
Jeudi 9 mars, Grenoble. Les tramways présents sur le campus sont immobilisés physiquement par des antifas qui en profitent pour passer entre les passagers et fouiller chaque rame à la recherche de potentiels militants de l’UNI, le syndicat de la droite universitaire. Heureusement, ils ne les trouveront pas ! Leur crime ? Avoir organisé une conférence sur la fonction d’élu local avec le maire Les Républicains de Voiron, une commune de l’Isère. Une rencontre qui avait dû être annulée quelques minutes plus tôt ; la police n’étant plus en mesure de garantir la sécurité de l’évènement face à la pression exercée par la grosse centaine d’activistes présente devant l’amphithéâtre. La veille à Marseille, deux autres militants de l’UNI ont été tabassés[1] devant leur université. Leur tort ? Animer un forum des métiers pour présenter les professions juridiques aux étudiants. En réalité, le seul fait d’être de droite suffit désormais à justifier ce type d’agression.
Adeptes de la censure, de l’intimidation et du coup de poing, qu’ils pratiquent toujours en surnombre, les antifas imitent plus le fascisme qu’ils ne le combattent. Les luttes des militants actuels n’ont plus grand-chose à voir avec celles de leurs anciens qui se battaient contre la montée du fascisme ou du nazisme dans les années 30. Après s’être effondrée à la suite de la fin de la guerre, cette mouvance va connaître sa première résurrection au début des années 80. Les bons résultats électoraux obtenus à cette époque par le Front national vont lui servir de carburant. Le SCALP (Section Carrément Anti-Le Pen) à partir de 1984, puis Ras L’Front dès 1990 seront les deux piliers autour desquels les militants antifas graviteront jusqu’au début des années 2000. Après 2002 et la victoire de Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen, le danger « fasciste » semble écarté et les militants se tournent vers d’autres combats, comme l’altermondialisme. Pendant plus de dix ans, le feu va couver discrètement. L’irruption au début des années 2020 d’Éric Zemmour sur la scène politique fût un accélérateur, mais une nouvelle dynamique était née dès le milieu des années 2010. Deux phénomènes expliquent ce regain de vitalité.
D’abord, l’extension continue et infinie du champ du fascisme qui ne se limite plus à sa définition politique et historique. Pour Ugo Palheta[2], sociologue, enseignant à l’université Lille-III : « La manière la plus simple de définir l’antifascisme est de dire que c’est la lutte contre l’extrême droite et tout ce qui la nourrit. Si l’on met l’accent sur la première partie, on est dans la confrontation politique, intellectuelle, voire physique quand cela est jugé nécessaire. Si l’on met l’accent sur la seconde, on dénonce la dérive autoritaire de l’État, le racisme systémique, la mise en concurrence généralisée, etc. […] L’antifascisme ne peut plus être sectoriel ou monothématique. Il doit devenir le langage commun de tous les mouvements d’émancipation ».[3] Une définition large qui s’inscrit dans la lignée des écrits de Marc Bray. Cet universitaire et activiste américain a publié, en 2017, Antifa : The Anti-Fascist Handbook. Un manuel à l’usage des nouvelles générations de militants dans lequel il développe une vision très intersectionnelle de l’antifascisme inspirée des actions développées par Occupy Wall Street et Black Lives Matter. Dès lors, poursuit-il « la seule solution face à la violence fasciste est de saper ses fondements dans la société, ceux qui sont ancrés notamment dans la suprématie blanche, mais aussi dans le validisme, l’hétéronormativité, le patriarcat, le nationalisme, la transphobie, la violence de classe, etc. » [4].
Les antifas vont s’inspirer des combats woke et même les nourrir. Ainsi, le collectif antifa la C.A.R.T.E (Collectif d’Actions et de Recherche sur la Transphobie et l’Extrême droite) publie une cartographie de ceux qu’ils accusent de transphobie. Pour eux, les fascistes sont partout : des membres de Reconquête à ceux de La Manif pour tous en passant, de façon plus originale, par les mouvements féministes universalistes (comme Osez le féminisme) ou des organisations écologistes opposées à la banalisation des traitements hormonaux (comme Deep Green Resistance…). Avec l’élargissement continu du champ du fascisme, tout le monde peut devenir une cible.
Le second phénomène qui va permettre cette renaissance, c’est la montée au sein des nouvelles générations de l’acceptation de la radicalité et de la violence politique. Des universitaires comme Andreas Malm, Geoffroy de Lagasnerie ou Francis Dupuis-Deri multiplient, depuis des années, les articles visant à prouver l’efficacité et à légitimer le recours à la violence politique. Ces idées ont fini par infuser dans la galaxie militante et désormais la question du recours à la violence n’est plus taboue.
Dans ce contexte, les poses martiales sur les réseaux sociaux des militants de La jeune garde, leur communication exaltant leurs entraînements aux combats ou leurs sorties nocturnes musclées semblent choquer de moins en moins. La fin justifie les moyens. Et quels moyens ! Marc Bray développe la notion d’antifascisme du quotidien.« Chaque fois que quelqu’un prend position contre une intolérance transphobe ou raciste – en le dénonçant, en boycottant, en humiliant, en arrêtant une amitié – il met un regard antifasciste en pratique et contribue à étendre l’antifascisme du quotidien. […] On ne peut pas toujours changer les croyances de quelqu’un, mais on peut évidemment les rendre trop coûteuses politiquement, socialement, économiquement et parfois même physiquement ». Physiquement ? Désormais, les antifas ne se contentent plus d’agresser les militants adverses pendant que ces derniers distribuent leurs tracts. Ils les traquent, les suivent pour connaître leur domicile, leurs habitudes. Dans son guide, Mark Bray insiste « l’antifascisme doit être bâti sur le renseignement ». Il précise « Fais tes recherches. L’une des choses les plus efficaces que tu puisses faire en tant qu’antifasciste, c’est de comprendre tes opposants, savoir où ils se rencontrent, comment ils s’organisent. Puis, sois efficace quand tu t’y attaques »[5]. De la théorie à la pratique, le pas a été vite franchi. En septembre, par exemple, un jeune étudiant, qui distribuait pour la première fois des tracts de l’UNI devant l’Université Paris 1, a été suivi par des antifas jusqu’à son domicile en banlieue avant de subir une intimidation en règle : « désormais on sait où tu habites ». Quelques semaines avant, c’est une jeune fille qui militait pour Éric Zemmour dans sa ville qui fut victime de menaces : des préservatifs usagés furent déposés dans sa boîte aux lettres.
Agression, intimidation, fichage, censure, tout est parfaitement assumé et théorisé par ces activistes qui aujourd’hui irriguent toute une partie de la galaxie militante à gauche, avec la bénédiction de La France Insoumise. Le porte-parole de la Jeune Garde a même été candidat LFI aux dernières législatives. Face à cette violence assumée (et même promue par des livres en vente libre), le gouvernement comprendra-t-il que nous avons besoin de fermeté dans la réponse policière et pénale ? Rien n’est moins sûr !
[1] Les médecins leur ont prescrits 5 jours d’ITT chacun.
[2] Coauteur, avec Ludivine Bantigny, de Face à la menace fasciste (Textuel, 128 pages, paru en 2021).
[3] Cité par Abel Mestre, L’antifascisme, un renouveau par la jeunesse, Le Monde, 26 octobre 2021.
[4] Mark Bray, L’antifascisme, son passé, son présent, son avenir, Lux éditeur, 2018, p. 251.
[5] Ibid, p. 257.
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