FIGAROVOX/TRIBUNE – 6 mars 2020 – Olivier Vial réagit à la décision de l’UNEF de rebaptiser des amphithéâtres de l’université de Nanterre avec des noms de femmes influentes: Aya Nakamura, Beyoncé, Rokhaya Diallo, etc. Il dénonce l’emprise du gauchisme culturel dans le monde universitaire français, signe selon lui d’une crise éducative profonde.
«L’Histoire se joue d’abord comme un drame, et se répète comme une comédie», écrivait Jacques Ellul. À force de bégayer pour nous rejouer inlassablement la lutte de l’opprimé contre l’oppresseur, l’histoire de l’émancipation et des combats sociaux n’est plus qu’une ridicule parodie d’elle-même. Il semble loin le combat de Victor Schoelcher pour l’abolition de l’esclavage ou celui des suffragettes pour le droit de vote des femmes. Désormais, nos résistants 2.0, syndicats d’indignés professionnels, militent pour la création de toilettes «neutres», dénoncent la façon dont les hommes s’assoient en public. Un symbole supposé de leur volonté de dominer l’espace. Ils interdisent des représentations théâtrales accusées de pratiquer l’«appropriation culturelle», censurent ceux qui ne pensent pas comme eux au nom d’une vision très personnelle de la démocratie. Se mobilisant ainsi, chaque jour, contre des chimères conceptuelles qu’ils ont eux-mêmes créées au sein de leurs laboratoires universitaires en études de genres, et autres études postcoloniales.
Cette semaine, c’est encore au nom de la lutte pour le Bien contre le Mal ou le Mâle (les deux orthographes sont acceptées) que l’UNEF a débaptisé les amphis de l’université de Nanterre pour leur donner le nom de «femmes influentes». Les selfies ayant remplacé les manifestes, c’est par un cliché bien cliché que l’on a découvert le nom des lauréates choisies par les militants de ce syndicat étudiant: les chanteuses Beyoncé et Aya Nakamura, ainsi que les activistes Assa Traoré et Rokhaya Diallo. Les réactions moqueuses ont aussitôt inondé les réseaux sociaux. Il est vrai qu’en être réduit à désigner ces personnalités comme symboles de l’Université révèle la pauvreté culturelle de ceux qui ont établi ce palmarès. Leurs références semblent se résumer aux tendances Twitter du moment.
Mary Jackson, pionnière du programme aérospatial américain, Toni Morrisson, prix Nobel de littérature, ou encore Joséphine Baker, qui n’a pas hésité à s’engager au côté de la résistance française pour défendre son pays d’adoption ; voilà quelques noms, autrement plus remarquables, que l’on aurait pu souffler à cet indigent jury si l’exercice en lui-même n’était pas aussi ridicule que détestable.
L’inculture et la bêtise ne sont, en effet, que les faces émergées du problème incarné ici par l’UNEF. Le malaise est profond. S’en moquer et en sourire, c’est prendre le risque de laisser les idéologies qui nourrissent ces inepties se développer et finir par intoxiquer une grande partie de nos sociétés.
Cette inculture que l’on reproche à ces militants est, chez eux, autant subie qu’assumée. Ils sont les fruits de la politique éducative menée depuis des décennies. La gauche universitaire et intellectuelle, dans le sillage de Gramsci et Bourdieu, n’a eu de cesse de dénoncer la culture classique et «bourgeoise» comme un instrument de domination et de reproduction sociale. Dès lors, l’école s’est employée à passer à la toise du relativisme et du nivellement l’ensemble de nos programmes scolaires. Tout se vaut et plus rien n’a de valeur. Quand pendant des années «l’observation réfléchie de la langue» remplace l’enseignement du Français et de la grammaire, qui peut s’étonner que la lecture d’une notice de montage puisse être considérée comme équivalente à l’étude de la Comédie humaine de Balzac. Le projet récent de supprimer les épreuves de culture générale des épreuves de la haute fonction publique est le signe que le rabot continue de faire son œuvre… Si rien ne l’arrête, bientôt plus personne ne trouvera rien à redire à la désignation de Beyoncé et Aya Nakamura.
Mais notre culture n’est plus simplement accusée d’être un instrument de reproduction, elle est également soupçonnée d’entretenir des stéréotypes en tout genre qu’il conviendrait de déconstruire. L’objectif de l’enseignement n’est plus de transmettre des savoirs et une culture, mais au contraire d’offrir des outils et des concepts permettant aux élèves de s’en émanciper pour se libérer de ces prétendus stéréotypes. Ce combat, déjà ancien, pour l’émancipation qui avait été totalement incarné par Vincent Peillon et Najat Vallaud-Belkacem au ministère de l’Éducation nationale, est entré en résonance avec l’offensive des adeptes du décolonialisme. Ces derniers déploient, grâce à la bienveillance financière du ministère de l’Enseignement supérieur, un arsenal de concepts visant à déconstruire l’universalisme républicain, à opposer «les racisés» à ceux qui ne le sont pas, à faire passer tout effort d’intégration pour une violence, à accuser la France d’être un régime pratiquant un «racisme d’État», à encourager une forme de séparatisme, un apartheid assumé et souhaité, dans lequel les réunions en non-mixité, c’est-à-dire, essentiellement, interdites aux hommes blancs se banalisent.
Depuis plusieurs années, sous la houlette de ces universitaires post coloniaux et des militants indigénistes et racialistes «la dynamique du politiquement correct s’est radicalisée» comme le souligne le sociologue Mathieu Bock-Côté transformant «la haine de l’Occident en savoir scientifiquement reconnu.» Dès lors, bientôt, plus personne non plus ne trouvera rien à redire à la désignation d’activistes aussi virulentes que Assa Traoré et Rokhaya Diallo.
Si l’on s’en étonne encore, c’est qu’il est encore temps d’agir. Ne plus se contenter de sourire, car eux sont très sérieux.
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