Article publié dans l’Action Universitaire – automne 2021
Intrusions dans des propriétés privées, dégradations, sabotages, incendies criminels, agressions physiques… Depuis quelques années, une frange de la mouvance écologiste française se détourne des « happenings » et autres formes de mobilisations non violentes qui les avaient fait connaître. Les rebelles d’Extinction Rebellion sont priés de ranger leurs chorales et chorégraphies bigarrées, les militants végans de laisser aux vestiaires leurs déguisements de veaux, vaches, cochons … Le temps est désormais à l’action directe, la violence n’est plus un tabou.
Le philosophe de la gauche radicale, Geoffroy de Lagasnery, pose dans son livre « En finir avec l’impuissance politique » les bases de cette nouvelle ère de la radicalité militante. Citant le philosophe allemand Günter Anders, il affirme que la seule possibilité pour accomplir une action efficace est « le recours à la violence – c’est-à-dire le fait de menacer physiquement ceux qui nous menacent. Agir politiquement ne doit consister ni à faire la fête, ni à nous mettre en danger, ni à nous faire souffrir nous-mêmes. Agir veut dire : faire souffrir celles et ceux qui nous font souffrir ».
Les mouvements de libération animale à la pointe de l’action violente
Cette thèse n’est pas restée l’objet de discussions éthérées entre philosophes. Elle inspire de nouvelles générations d’activistes prêts à en découdre. Ce sont dans les mouvements de libération animale que cette idée s’est d’abord développée. Dès 1990, le directeur du FBI, John Lewis qui s’intéressait en particulier aux actions menées par le mouvement Animal Front Liberation – AFL estimait que la menace que faisait peser les écoterroristes et autres mouvements antispécistes sur la sécurité américaine était la deuxième source d’inquiétude pour ses services, juste derrière le terrorisme islamique.
Cette menace a depuis traversé l’Atlantique. En 2018, plusieurs dizaines de boucheries ont été attaquées, un boucher a même été agressé à Paris en plein marché, devant ses clients. Des slogans outranciers ont fleuri sur les murs : « Bouchers = assassins », « élevage = holocauste ». Cette surenchère lexicale associée à des images toujours plus dures constitue un puissant désinhibiteur pour pousser les personnes les plus fragiles à mener des actions violentes. En septembre 2018, le politologue Eddy Fougier, sur LCI, soulignait que « les végans, très souvent, s’abreuvent d’images violentes. J’ai le sentiment que notamment chez ceux qui sont les plus fragiles psychologiquement, il peut y avoir un passage à l’acte ».
En septembre 2018, le mouvement L 269 Life a mené une série de raids contre des abattoirs en France. Dans une note qu’ils avaient adressée à leurs membres, ils écrivaient que désormais, il fallait placer « la conscience morale au-dessus de la loi officielle ».
Dans les jours qui ont suivi, un incendie criminel a détruit partiellement un abattoir employant 80 personnes dans l’Ain, un autre fut incendié dans l’Orne, tout comme une partie du Zoo de Peaugres en Ardèche.
Comme pour d’autres phénomènes de radicalisation, les réseaux sociaux jouent un rôle dans l’endoctrinement. Surtout quand des youtubeurs, comme Gary Yourovsky, un influenceur, longtemps financé par l’organisation PETA, enflamme la plateforme avec ses diatribes antispécistes : « Au fond de moi, j’espère sincèrement que l’oppression, la torture et le meurtre se retournent dix fois contre les hommes qui s’en moquent ! Je souhaite que des pères de famille tirent accidentellement sur leurs fils à l’occasion de partie de chasse, pendant que les carnivores succombent lentement à des crises cardiaques. Que chaque femme emmitouflée dans la fourrure doive endurer un viol si vicieux qu’elle en soit marquée à vie ». Sic !
Malheureusement, ce genre de propos n’est jamais anodin. Ils finissent par toucher des personnes fragiles et légitimer les pires dérives. Ce fut le cas, en avril 2018, quand Nasim Najafi Aghdam, une youtubeuse végan a attaqué à main armée le siège social de YouTube, à San Bruno en Californie. Après avoir blessé trois personnes, elle s’est donné la mort sur place. Elle reprochait à Youtube de censurer ses vidéos sur le véganisme.
Mais le recours à la violence peut également être beaucoup plus réfléchi et utilisé de façon stratégique. C’est la thèse d’Andréas Malm, un universitaire suédois, qui se définit comme lénino-écologiste. En quelques années, il a réussi à s’imposer comme une figure de la scène radicale. Son livre « Comment saboter un pipeline ? » est devenu le vade-mecum de toute une génération d’activistes lassés de faire signer des pétitions. Il ouvre son livre sur ce qu’il appelle l’énigme de Lancaster, du nom de cet écrivain britannique John Lancaster qui écrivait « il est étrange et frappant que les militants pour le climat n’aient pas commis d’actes de terrorisme. Après tout, le terrorisme est de loin la forme d’action politique individuelle la plus efficace du monde moderne et le changement climatique est un sujet qui tient au coeur des gens tout autant que, mettons, les droits des animaux. C’est d’autant plus remarquable quand on pense à la facilité avec laquelle on peut faire sauter des stations-service ou vandaliser des SUV. Dans les villes, les SUV sont exécrés par tous ceux qui ne les conduisent pas ; et dans une ville de la taille de Londres, il suffirait de quelques dizaines de personnes pour rendre tout bonnement impossible la possession de ces véhicules en rayant systématiquement leurs flancs avec des clefs, ce qui coûterait chaque fois plusieurs milliers de livres à leur propriétaire ».
Ces quelques lignes ont notamment inspiré en France les membres du réseau « la Ronce » qui à Grenoble et Bordeaux ont pendant des semaines dégonflé les pneus de SUV garés dans les rues de leurs villes. D’autres mouvements s’en sont pris aux antennes relais et ont saboté les réseaux 5G.
En parfait tacticien, Andreas Malm imagine une répartition des rôles entre les mouvements écologistes institutionnels qui discutent et négocient avec les politiques et les décideurs économiques et ceux qu’il désigne comme le flanc radical. Reprenant les écrits de Haines, il parle de la nécessité « d’une division du travail où les radicaux et les modérés jouent des rôles très différents ». Les premiers portent la crise jusqu’à un point de rupture tandis que les seconds y proposent une issue. « Les futurs militants radicaux doivent donc s’attendre à être condamnés par les militants traditionnels et même l’espérer, sans quoi rien ne les en distinguerait et leur influence serait perdue ».
S’il défend le recours à la violence, il pointe la nécessité d’en mesurer le degré d’acceptabilité. En 2020, il estimait qu’« à l’heure où j’écris ces lignes (…) ce serait une catastrophe pour le mouvement si l’une de ces composantes décidait de recourir au terrorisme ». Loin de rejeter cette éventualité par principe, il jugeait simplement qu’il était encore trop tôt. Il ajoutait que « le niveau de réceptivité, d’acceptation de la violence évolue avec le temps et avec la montée de la prise de conscience des dangers environnementaux ». Dans un entretien au magazine Ballast en juin 2021, il déclarait : « Soyons clairs : je n’affirme pas qu’il faille utiliser la violence à l’encontre d’individus. Porter atteinte à l’intégrité d’un individu est par principe immoral. Pour s’en prendre à une personne — le PDG de Total, par exemple —, il faut fournir la justification que ses actes, dans certaines conditions géographiques ou historiques, entraînent des conséquences immédiates, tangibles et véritablement dangereuses pour un grand nombre d’individus ». Cela ressemble plus à une justification sous condition qu’à une réelle condamnation.
C’est d’ailleurs comme cela que semblent le comprendre certains de ses lecteurs. Le 23 septembre dernier, le magazine Society, donnait la parole à Bastien, un activiste qui désormais affirme : « il faut reparler du terrorisme, un outil non négligeable. Je pourrais participer à l’assassinat d’un PDG. Je l’envisage sérieusement, si un plan se monte, j’en suis ».
Et pendant ce temps, Andréas Malm continue sa tournée médiatique… jusqu’à ce que le pire arrive.
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