De récentes affaires judiciaires illustrent l’inquiétant démembrement de l’action publique française, l’Etat paraissant abdiquer toute résistance en matière pénale.
La première illustration est celle de l’affaire « Mila » : cette adolescence devenue, bien malgré elle, le bouc émissaire des imprécateurs en insultant l’Islam. Le torrent de menaces, d’injures et l’exclusion sociale et scolaire dont elle a été la victime, n’est pas surprenant pour ceux habitués au spectacle des Fatwa, dans les pays soumis au joug de l’islamisme.
L’opinion française restait stupéfaite et interdite envers une telle violation de la laïcité.
L’étonnement provint du renfort d’un allié inattendu, en la personne du procureur de la République. Ce magistrat avait immédiatement ouvert une enquête à l’encontre de Mila, pour des faits de provocation à la haine raciale ou envers « une religion déterminée », délit défini et réprimé à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881.
Le fondement de sa poursuite ne trompait personne ; il incriminait une infraction inexistante de blasphème, donnant satisfaction aux islamistes attachés à ce que leur religion soit, dans leur « Oumma », associée et défendue par l’Etat. L’opinion française restait stupéfaite et interdite envers une telle violation de la laïcité, digne d’une scène du roman « Soumission » de Houllebecq.
La faute, au moins juridique, de ce magistrat était flagrante ; or, quant bien même sa hiérarchie aurait voulu la réparer, elle eût été impuissante, laissant à la mobilisation de la société civile le mérite du classement sans suite des poursuites engagées envers « Mila ». En effet, l’évolution législative dans l’autonomisation des chefs de parquets empêche tant le parquet général que le ministre de la justice de mettre bon ordre à des choix intempestifs du procureur.
La démission du ministre de la justice ne fait qu’illustrer l’absence d’une politique pénale face à l’islamisme.
Au nom d’une conception dévoyée de l’indépendance de la justice, qui confond poursuite et jugement, le pouvoir politique, seul détenteur de la légitimité démocratique, ne peut plus s’opposer ni à l’ouverture d’une enquête préliminaire ni à la poursuite décidée par un des 164 chefs de parquet territorialement compétents. Le principe, toujours inscrit dans le code de procédure pénale, selon lequel le ministre de la justice conduit la politique d’action pénale déterminée par le gouvernement et veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République, est devenu théorique.
La loi Taubira du 25 juillet 2013 lui interdit d’adresser aucune instruction individuelle à ses parquets dans des affaires individuelles, affaiblissant ainsi la conduite et la défense d’une politique pénale gouvernementale. Ces mêmes dispositions empêcheraient aujourd’hui le garde des sceaux de faire diligenter des poursuites à l’encontre du hiérarque du CFCM pour sa complicité supposée dans les appels au meurtre de « Mila », aujourd’hui déscolarisée. Seul le parquet compétent, éventuellement sur instructions du parquet général, en aurait l’initiative, jusqu’à ce jour méconnue.
Cette faute juridique a été politiquement assumée par le garde des Sceaux qui, pour justifier la décision du procureur, a comparé la critique de la religion à une atteinte à la liberté de conscience. Un sentiment de perplexité s’est rapidement transformé en indignation ; chacun connaît l’absence de liberté de conscience dans les pays islamistes et la sévérité de leur politique pénale réprimant ceux qui, par exemple, se refusent à observer publiquement le jeune du Ramadan.
La démission du ministre de la justice, réclamée par de nombreuses voix pour sanctionner ces fautes, était hautement improbable ; cette affaire n’est pas isolée ; elle ne fait qu’illustrer l’absence d’une politique pénale face à l’islamisme.
Toute parole publique, fût-elle celle du chef de l’Etat, devient illégale.
Chacun a encore à l’esprit l’affaire Sarah Halimi, où le juge d’instruction a résisté pendant près d’un an à qualifier d’antisémite, circonstance aggravante, le meurtre de cette femme. Sa seule culpabilité aux yeux de son bourreau, Coulibaly, était justement sa judéité. Or, devant la chambre de l’instruction de Paris, l’avocat général, en requérant la confirmation du non lieu fondé sur l’abolition du discernement du meurtrier, a manqué à son devoir de défense de notre société démocratique menacée par l’islamisme exterminateur. Pourtant, en l’état du droit rappelé, il n’aurait pas pu recevoir d’instructions du politique pour requérir le renvoi de Coulibaly devant une cour d’assises pour y être jugé.
A la question posée au chef du gouvernement par Roger Karoutchi lors de la séance du Sénat du 12 janvier dernier – si la privation d’un procès était juste – la réponse du Premier ministre fut moins laxiste et idéologue que celle de son ministre de la justice. Exprimant d’abord sa compassion à l’égard de « l’une de nos concitoyennes assassinée de façon atroce », il a rappelé que la chambre de l’instruction avait retenu le caractère antisémite et la circonstance aggravante ; enfin tout en proclamant qu’il est « normal, important et légitime que le gouvernement ne se prononce pas et ne donne pas une appréciation sur une décision de justice », il a « gardé pour lui » sa réponse.
De tels propos ne masquent pas le cruel manque d’une politique pénale librement débattue devant le Parlement, où pourtant n’a été ni relevé ni critiqué le sens des réquisitions du parquet général, refusant la dignité d’un procès à la famille de la victime de l’islamisme.
Les magistrats favorables à une indépendance totale du parquet ont donc imposé, dans les faits, leur vision ; Jean-Claude Marin, alors procureur général auprès de la Cour de cassation, discourait ainsi : « toute dépendance dans l’acte de poursuivre ou de juger neutralise le pouvoir judiciaire tout entier, au sens de la distinction opérée par Montesquieu dans l’Esprit des lois ».
Ainsi, sous couvert d’indépendance, le parquet est neutralisé, empêchant le gouvernement de déterminer et conduire une politique pénale de la Nation, sur le fondement de l’article 20 de la Constitution.
Face à cette impuissance, toute parole publique, fût-elle celle du chef de l’Etat, devient illégale.
Invité à s’exprimer devant la communauté française en Israël, à l’occasion de son déplacement commémoratif de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, le chef de l’Etat, constitutionnellement garant de l’indépendance de la justice, a sciemment demandé à la Cour de cassation de permettre un procès pour juger Coulibaly en ces termes : « le besoin de procès est là ».
La conséquence ne s’est pas fait attendre ; dans un rarissime communiqué, les chefs de cette juridiction se sont émus de tels propos, contraires à l’indépendance de la justice. Le résultat est tel qu’escompté : quelle que soit la décision de la Cour de cassation sur la tenue ou pas d’un procès de Coulibaly devant les assises, elle sera irrémédiablement entachée du soupçon de l’immixtion du pouvoir exécutif. Son discrédit reposera sur le manque allégué à l’obligation d’impartialité édictée par la CEDH pour les seuls juges du siège, tout comme au principe de la séparation des pouvoirs.
Pour reconquérir les territoires de la République, il est urgent, pour l’Etat, de se réapproprier l’action publique. Le piège est de confondre indépendance des magistrats du siège avec la détermination d’une politique pénale démocratique.
(Article paru sur le site de Valeurs actuelles, le 3 février 2020->https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/limpuissance-de-letat-face-au-devoiement-de-lindependance-de-la-justice-115664)
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