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Par Olivier Vial

Le 27 janvier 2025 à 13h01

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Entretien pour Atlantico, paru le 26 janvier 2025

Le mouvement HelloQuitteX reproche au réseau social d’Elon Musk d’être devenu une plateforme faisant la part belle aux biais algorithmiques. Malheureusement, le débat démocratique en France au sein des médias, de la justice ou des universités est lui aussi pollué par des biais.

Atlantico : L’opération HelloQuitteX vise à permettre aux internautes déçus par X de quitter la plateforme à l’aide d’un outil développé par le CNRS. La raison la plus souvent invoquée pour expliquer cette déception consiste le plus souvent à avancer que X serait devenu une plateforme faisant la part belle aux biais, notamment algorithmiques. Que peut-on dire des autres biais au sein de la société française ?

LES BIAIS NON-ALGORITHMIQUES AU SEIN DES MEDIAS ET DES UNIVERSITES

Olivier Vial : Les biais agissent, de façon plus ou moins consciente, comme des filtres déformants qui influencent notre perception de la réalité et orientent nos jugements ou nos actions. Les biais algorithmiques, souvent critiqués, ne sont en réalité que des amplificateurs d’autres biais existants dans la « vraie vie » : biais cognitifs, préjugés politiques…

Ce qui est intéressant à travers l’affaire HelloQuitteX, cette application lancée par un chercheur du CNRS et hébergé sur les serveurs de l’institution, c’est qu’elle illustre parfaitement un biais qui touche désormais de plus en plus de chercheurs. Pour eux, l’objectif de la recherche n’est plus de décrire et d’analyser la réalité, mais de se donner les moyens de la changer. Cela a parfaitement été théorisé par Sandra Harding, professeur à l’UCLA, pour qui l’objectivité ne doit plus être le synonyme de la neutralité. Au contraire, elle plaide pour une « objectivité forte » qui se fonde « sur une définition de la démocratie, réellement anti-sexiste et anti-raciste, considérant que le fonctionnement routinier de la science repose sur un statu quo maintenu par une élite, sur une matrice de privilèges de classe, de genre et de race. Aussi, ceux/celles qui subissent ce statu quo, et veulent l’ébranler, sont les plus à même de produire des points de vue, des savoirs, fortement objectifs.[1]«  Cette vision, qui va irriguer une grande partie de l’épistémologie critique, opère deux renversements majeurs par rapport aux principes classiques de la science. La recherche de la vérité n’est plus l’objectif premier. La science a d’abord une visée politique. Elle doit être au préalable « anti-sexiste et anti-raciste ». Autre révolution introduite par ce concept, l’objectivité n’exige plus une neutralité face au sujet étudié ; au contraire, ce sont les personnes engagées dans la lutte contre les privilèges de classe, de genre et de race (les militants !) qui sont censés être les plus objectifs. Les biais sont ici assumés et encouragés pour imposer des grilles idéologiques à la réalité.

On pourrait dire la même chose de certains médias. Quand Matthieu Pigasse, l’un des propriétaires du Monde et du Huffington-Post, déclare vouloir mettre les médias qu’il contrôle « au service d’une conception ouverte et progressiste du monde ». Cette confession révèle un biais idéologique assumé, où l’information devient un levier pour orienter les débats publics, souvent au détriment de la pluralité des opinions.

Sur les campus comme dans certaines rédactions, certains biais idéologiques ne sont plus vus comme des problèmes nuisant à l’objectivité, mais bien comme des signes de vertu.

LES BIAIS SOCIOLOGIQUES AU SEIN DE L’ADMINISTRATION

Les biais sociologiques traversent nos institutions, à commencer par certaines de nos grandes écoles. La politisation des étudiants de Sciences Po, où 71 % des élèves se déclarent de gauche et 55 % votent Mélenchon, selon l’étude « Une Jeunesse engagée » menée par Anne Muxel et Martial Foucault, est le signe d’un décalage croissant entre les futures « élites » et le reste de la population. Si ces jeunes deviennent ensuite juges ou hauts fonctionnaires, il n’est pas étonnant que cette politisation se traduise dans leurs pratiques.

Le Syndicat de la magistrature (SM), qui représente un tiers des magistrats, incarne parfaitement cette dérive. Créé dans la lignée de mai 68, il revendique une justice engagée. Son texte fondateur, connu sous le nom de la Harangue d’Oswald Baudot, exhortait les jeunes magistrats à être « partiaux » et donc à assumer leur « biais » idéologique : « Soyez partiaux (…) Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurance de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. »

Les magistrats sont ainsi invités à juger leurs concitoyens non pas sur la base des lois, mais d’une lecture idéologique du monde. Le wokisme, qui s’est développé ces dernières années, n’a fait qu’exacerber ce biais en imposant sa vision manichéenne : « les dominés » seraient toujours des victimes innocentes, tandis que « les dominants » sont, par essence, coupables. Cette grille binaire infiltre désormais la fabrique et l’interprétation des lois, où la neutralité juridique est souvent remplacée par un militantisme « bien-pensant ». Avec cette lecture woke, les victimes sont désormais classées de plus en plus en fonction de leur appartenance sociale ou ethnique, et non sur la base de faits objectifs.

LES BIAIS EN MATIERE DE GESTION DES QUESTIONS PUBLIQUES, DE L’ENVIRONNEMENT OU DE L’AGRICULTURE AU SEIN DU CHAMP POLITIQUE

Le champ politique n’est pas immunisé contre les biais. La gestion des questions publiques, qu’il s’agisse d’environnement, d’agriculture ou d’autres domaines, ne fait pas exception. Hier, l’hebdomadaire Le Point a, par exemple, révélé que la commission européenne avait financé des ONG pour mener des campagnes de lobbying en faveur de son Pacte vert et faire pression sur les élus. Si la Commission s’est crue autorisée à contourner ainsi les processus démocratiques, c’est au nom d’un biais idéologique qui tend à transformer l’écologie en combat moral. Le bien doit triompher du mal quel que soit les moyens.En agriculture, le cas des pesticides, des OGM, de la gestion des « megabassines » illustrent également ces biais. Les politiques publiques privilégient une idéologie décroissante, souvent déconnectée des réalités des agriculteurs.

LES BIAIS RELATIFS A L’EDUCATION NATIONALE

L’éducation nationale n’échappe pas aux biais. Dans l’enseignement économique, le rôle de l’APSES (syndicat de professeurs de SES) est emblématique. Ses orientations pédagogiques favorisent une critique systématique du capitalisme, souvent au détriment d’une véritable formation économique. Les manuels scolaires, biaisés par un ton compassionnel et anti-marché, confirment cette tendance.

Benoît Hamon, lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, a renforcé cette politisation lorsqu’il a introduit l’enseignement de l’économie sociale et solidaire (ESS) à l’école. Sous prétexte d’apprendre des alternatives au capitalisme, il a ouvert la porte à des associations militantes comme L’ESPER, qui forment les enseignants et participent à la rédaction des programmes. L’objectif avoué est de « déconstruire les stéréotypes » pour « transformer la société ». Ce n’est plus de l’instruction, mais du militantisme déguisé.

LES BIAIS RELATIFS AU FINANCEMENT DE CERTAINES ONG ET ASSOCIATIONS

Ces organisations ont souvent des valeurs et une philosophie fortes, et il est naturel qu’elles les défendent. Deux conditions essentielles doivent cependant être respectées : d’une part, elles ne doivent pas être massivement financées par de l’argent public, comme c’est le cas de la Commission européenne qui a alloué 15 millions d’euros en 2024 pour soutenir des campagnes d’ONG environnementales pro-Pacte vert et ainsi influencer discrètement les parlementaires. D’autre part, ces financements doivent être transparents. Un exemple problématique est celui de l’Open Society de George Soros, dont les dons massifs, bien que privés, suscitent des controverses car ils ne s’accompagnent pas toujours d’une communication claire sur les objectifs poursuivis. Ainsi, cette fondation a financé les premières études du CNRS visant à prouver l’existence du racisme de la police française. Le manque de transparence alimente les soupçons de manipulation idéologique et de biais malveillants et fragilise la confiance dans les résultats de ces études.

[1] Elsa Dorlin [2008], Sexe, genre et sexualité, PUF, p.29.

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