Menaces, pressions, annulations… l’université est devenue un terrain de combat. En quelques jours, une conférence sur Le Frérisme et ses réseaux[1] que devait donner l’anthropologue et chercheuse au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler a été annulée à la Sorbonne[2]. Ses travaux universitaires sur l’influence de certains courants de l’islam radical lui ont valu de telles menaces de mort qu’elle est, désormais, obligée de vivre sous protection policière. À Grenoble, ce sont deux étudiants de l’UNI qui viennent, à leur tour, d’être menacés de mort dans un tag peint sur les murs de leur campus. L’extrême gauche leur reproche de ne pas soutenir la proposition de « 10 améliorable » qui consiste à garantir une note supérieure à la moyenne à tous les étudiants lors des partiels. Dans cette version moderne de la cigale et la fourmi, la cigale antifa qui a bien bloqué et manifesté toute l’année n’a toujours aucune envie de réviser. Elle estime toutefois qu’elle serait injustement discriminée si elle décrochait de moins bonnes notes que les étudiants ayant travaillé. Pour obtenir ce qu’elle veut, la cigale a délaissé le chant et la danse pour pratiquer le coup de poing et l’intimidation.
Quelques soient les raisons, la sentence est la même. L’objectif n’est plus de convaincre, de confronter ou de réfuter des arguments – ce à quoi, conformément à la démarche scientifique, est prête Florence Bergeaud-Blackler à propos de son livre[3] -, mais de s’imposer comme la seule personne légitime à parler. Dans un entretien sur France Inter, le philosophe Geoffroy de Lagasnerie avoue que son but et celui « de la gauche c’est de produire des fractures, des gens intolérables et des débats intolérables dans le monde social ». Il poursuit : « je suis contre le paradigme du débat contre le paradigme de la discussion. Je pense que nous perdons notre temps lorsque nous allons dans des chaînes d’info à débattre avec les gens qui sont de toute façon inconvaincables et qu’en fait nous ratifions la possibilité qu’ils fassent partie de l’espace du débat. Je pense qu’effectivement la politique est de l’ordre de l’antagonisme, de la lutte et j’assume totalement le fait qu’il faut reproduire un certain nombre de censures en vérité dans l’espace public pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions qui ne le sont pas ». Voilà qui a le mérite de la clarté ! Le débat d’idées ressemble dès lors aux combats de sumo, dont l’objectif serait de pousser ses adversaires hors du cercle de la raison ou de la respectabilité. Les candidats au bannissement se multiplient à mesure que s’étend le champ de ce qu’il est interdit de dire ou de penser. Avec la notion d’antifascisme du quotidien (que nous avons présenté dans une précédente chronique), Mark Bray avait déjà popularisé une définition extensible à l’infini de ce qui peut être qualifié de fasciste. Désormais, s’ajoute à elle les milles et une micro-agressions que peuvent ressentir les militants wokes. L’actuel ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Steven Guilbaut, apôtre de cette nouvelle religion, avait précisé, dès 2019, que « notre droit s’arrête là où la blessure de quelqu’un d’autre commence »[4]. Tout un programme ! Cette semaine, après la manifestation du GUD dans les rues de Paris, le gouvernement français a lui aussi fait le choix d’allonger la liste de ce qui est prohibé. En demandant aux préfets d’interdire tous les évènements liés à l’ultradroite[5], même s’ils ne donnent pas lieu à des troubles à l’ordre public, Gérald Darmanin a ouvert une nouvelle boîte de pandore. Élisabeth Borne avait pourtant essayé de rappeler que si ce rassemblement l’avait « choquée », en l’absence de troubles, la République devait avant tout garantir la liberté de manifestation. Après une campagne médiatique orchestrée par la gauche, la Première ministre a perdu son arbitrage et la liberté d’expression encore un peu de sa force.
Où s’arrêtera-t-on désormais si on proscrit tout ce qui peut choquer quelqu’un ? Si nous en sommes à nous poser ce genre de question, c’est que la stratégie décrite par Geoffroy de Lagasnerie est malheureusement très efficace. Avec le sociologue Didier Eribon et le romancier Patrick Louis[6], ils tentent, depuis dix ans, d’enrégimenter les sciences sociales et une partie de l’édition dans leur combat manichéen. Ce « trouple », que l’université d’Harvard[7] présente comme l’avenir des intellectuels français, la relève de « la French Theory », a bien compris le rôle qu’il doit jouer dans les universités. Dans un livre paru en 2020, Sortir de notre impuissance politique, Geoffroy de Lagasnerie explique que la stratégie la plus efficace consisterait « à dépenser moins d’énergie dans la confrontation avec celles et ceux que nous ne changerons jamais pour tenter à l’inverse d’influencer les cerveaux de celles et ceux qui, dans quelques années, accéderont au pouvoir. Pour le dire de manière ordinaire : lorsque nous sommes en désaccord avec une mesure, est-il plus efficace d’aller manifester devant un ministère ou d’aller parler dans un lycée ? ». Il ajoute que c’est pour cela que « la conquête du pouvoir universitaire (et, évidemment, la transformation radicale de la recherche et de l’enseignement tels qu’ils se pratiquent) est si importante pour la gauche. » Car, rappelle-t-il : « On oublie souvent que l’institution qui détient un quasi-monopole sur la formation des structures mentales d’une société et surtout des individus qui occupent des positions de pouvoir c’est l’Université ». C’est ainsi que cette dernière est devenue le champ de bataille dans laquelle la gauche la plus sectaire a investi toutes ses forces. Son but : pousser en dehors de l’institution (par la violence, la lassitude ou le découragement) tous ceux qui pourraient contester son emprise sur ces futurs cerveaux malléables[8]. Jusqu’à présent, ils ont avancé en terrain quasiment conquis. Rares furent ceux qui s’opposèrent à eux et résistèrent comme les militants de l’UNI ou Florence Bergeaud-Blackler. Frédérique Vidal, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur a battu en retraite dans son combat contre l’islamogauchisme sans même le mener. Sylvie Retailleau, qui lui a succédé à ce poste, n’a pas eu un mot pour condamner la conférence du terroriste d’extrême gauche Jean-Marc Rouillan à l’université de Bordeaux. Le combat pour la liberté d’expression et les libertés académiques ne mérite-il plus d’être livré ?
[1] Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête, de Florence Bergeaud-Blakler, éditions Odile Jacob, 2023.
[2] Suite à la forte polémique causée par cette décision, l’université a annoncé que la conférence serait reprogrammée le 2 juin.
[3] C’est ce qu’elle a déclaré dans une interview sur Europe 1.
[4] Cité par Mathieu Bock-Côté in La révolution racialiste et autres virus idéologiques, édition de La cité, 2021, p. 159.
[5] Le tribunal administratif de Paris a d’ailleurs fini par suspendre l’arrêté préfectoral qui interdisait le colloque organisé par l’Action Française. Il a même condamné l’État à verser 1500 euros à l’association royaliste.
[6] Ils ne sont bien entendu pas les seuls, mais ensemble ils ont acquis une véritable notoriété dans les sphères militantes et à l’international.
[8] Selon l’expression utilisée par Geoffroy de Lagasnerie sur France Inter.
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