Le «plan étudiant» présenté ce jour par le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est d’abord un exercice de langage qui prête à sourire: le mot «sélection» étant tabou, il avait été question ces dernières semaines de «prérequis».
Mais puisque ce dernier terme avait concentré les critiques de ceux qui y voyaient le cache-sexe de l’abominable sélection, il est désormais fait mention d’ «attendus». Ils sont définis par le dossier de presse du ministère comme «les connaissances et les aptitudes qui sont nécessaires à un lycéen lorsqu’il entre dans l’enseignement supérieur».
La définition des prérequis est identique mais on l’aura compris: dans prérequis, il y a «requis», c’est-à-dire «exigé». La connotation a dû sembler trop brutale alors qu’ «attendu» est plus aimable. L’attendu évoque l’espéré, comme l’amoureux transi attend sa promise avec un bouquet de lilas.
Malheureusement, ici comme souvent, la forme révèle le fond: les choses étant à moitié dites, elles sont à moitié faites.
Ainsi, le projet n’a pas osé fermer l’accès à l’université à certaines filières de bac. On va donc continuer à envoyer des bacheliers professionnels à l’université alors qu’ils sont 94% à ne jamais obtenir leur licence. Était-ce vraiment si difficile de prendre en compte cette réalité? Et ce gâchis humain et financier n’est pas aussi anecdotique que l’on pourrait le croire lorsqu’on sait que l’année dernière, ces bacheliers étaient plus de 18 000 à intégrer une filière universitaire, hors IUT, et que leur nombre a augmenté de 20% en 5 ans.
De la même manière, le projet se refuse à imposer des prérequis pour certaines disciplines. Il reviendra aux universités sollicitées d’accepter purement ou simplement le candidat, ou de l’inscrire à la condition qu’il accepte de suivre un parcours spécifique qui pourrait prendre la forme d’une remise à niveau.
Même si le gouvernement promet que des moyens y seront affectés, on peut douter que les universités bénéficieront, dès la rentrée prochaine, des postes et des locaux supplémentaires nécessaires. On peut donc deviner sans peine que la remise à niveau se résumera à des cours en ligne, dont chacun connaît les limites surtout pour un public de jeunes gens en difficulté.
Mais, surtout, il n’appartient pas aux enseignants-chercheurs du supérieur de combler les lacunes des programmes scolaires. Cela ne correspond ni à leur rôle, ni à leur propre formation.
Emblématique de l’ère Macron, ce projet n’impose pas des prérequis mais « en même temps » autorise les universités à refuser l’inscription d’un étudiant dont le profil ne correspond pas aux exigences.
Emblématique de l’ère Macron, ce projet n’impose pas des prérequis, mais «en même temps», autorise les universités à refuser l’inscription d’un étudiant dont le profil ne correspond pas aux exigences requises dans les filières sous tension (PACES, STAPS, droit, psycho).
Dans toute hypothèse, cette nouvelle organisation suppose que soit constituée, dans chaque filière de chaque université, une commission qui prendra la décision d’accepter, d’accepter sous condition ou de refuser le candidat. La composition et les règles de fonctionnement (et la rémunération des membres) de cette commission restent à préciser. Sans doute, les volontaires ne seront-ils pas légion puisque logiquement l’essentiel de son travail se fera l’été.
Il se dégage donc du projet un sentiment d’improvisation, sentiment renforcé par l’annonce de la création, dans chaque diplôme de licence, d’un directeur des études, qui est censé recevoir chaque étudiant pour l’aider à personnaliser son parcours universitaire… Voilà qui peut laisser pantois lorsqu’on sait que ce sont plus de 300 000 bacheliers qui s’inscrivent, chaque année, sur les bancs de la faculté.
Enfin, il ne fallait surtout pas laisser croire que les bacheliers partout refusés allaient être laissés sur le bas-côté du «pari de l’intelligence». Leur dossier sera examiné par une nouvelle commission, encore une, constituée cette fois-ci autour du Recteur, composée on ne sait comment, qui devra proposer au candidat une inscription dans une filière où il reste de la place.
L’étudiant est alors réduit à une variable d’ajustement permettant de remplir les places vacantes des formations délaissées sans se poser la question de leur pertinence.
Alors que le gouvernement s’est targué de vouloir remettre de l’humain dans le système de l’orientation et de l’inscription à l’université, on assiste au contraire à un alourdissement considérable du processus et une bureaucratisation renforcée.
Comme aurait pu le dire Charles Péguy, on ne saura jamais assez tout ce que la peur du mot «sélection» aura fait commettre de lâchetés à nos gouvernants.