Ne froisser aucune communauté. Traquer les potentielles micro-agressions qui pourraient blesser la sensibilité exacerbée des militants woke. Gommer, effacer, canceler, ce qui serait susceptible de les déranger… À force de ne vouloir déplaire à personne, Disney a fini par rebuter et ennuyer tout le monde. Les spectateurs désertent les salles obscures. L’image de l’entreprise sombre ; en 2019, elle faisait partie des 4 entreprises les plus aimées des Américains ; elle est désormais classée parmi les 100 les plus détestées (77°/100)[1]. Quant aux actionnaires, ils sont très inquiets, car la valeur boursière du studio a été divisée par deux passant de 340 à 170 milliards de dollars au cours des deux dernières années.
Très attendu, Wish, Asha et la bonne étoile devait être le fim qui célèbre les 100 ans de l’entreprise fondée par Walt et Roy Disney en 1923, et lui permette de renouer avec le public après une succession d’échecs depuis 2019. La déception est à la hauteur de cet espoir. En effet, lors de son premier week-end d’exploitation aux États-Unis, le film a réalisé près de 4 fois moins de recettes que La Reine des Neiges 2.
Rééduquer ou divertir, Disney doit choisir
En 2005, quand Bob Iger, très engagé dans le camp démocrate, est propulsé à la tête du groupe, il ne cache pas sa volonté de faire de Disney un instrument d’une bataille politique et culturelle. Grâce au storytelling, déclare-t-il en 2017 devant les actionnaires, il espère « amener les gens à mieux accepter les multiples différences, cultures et races et toutes les autres facettes de nos vies et de notre peuple »[2].
Épousant et précédant même les revendications des activistes woke, il multiplie les signes à leur endroit, encourageant ainsi quelques offensés patentés à traquer dans chaque classique du studio les traces d’un prétendu « racisme systémique ». Voilà comment les corbeaux du dessin animé Dumbo se sont vus accusés de véhiculer des clichés racistes contre les Afro-Américains et que l’on a reproché aux chats siamois des Aristochats de répandre des préjugés contre la communauté asiatique. Quant aux voleurs dans Aladdin, le fait qu’ils soient représentés sous les traits de personnes arabes a été jugé problématique et stigmatisant bien que l’intrigue se déroule au Moyen-Orient. Trop content de pouvoir expier ses fautes et ainsi s’inscrire dans le camp des « éveillés », Disney est allé, en janvier 2021, jusqu’à retirer ces dessins animés de la partie enfant de sa plateforme ; il faut désormais une autorisation parentale pour les consulter[3].
Mais, l’hydre woke n’est jamais rassasiée. Quelques mois plus tard, deux journalistes du San Francisco Chronicle accusent Blanche Neige de promouvoir la culture du viol en raison de la scène finale dans laquelle le Prince réveille et sauve Blanche Neige d’un baiser « non consenti » puisqu’elle est endormie. L’accusation peut sembler spécieuse, voire grotesque, et pourtant dans la version de Blanche neige qui sortira en 2025, la scène a disparu. L’actrice qui incarnera l’héroïne de Disney dans ce remake a déclaré : « Ce n’est plus 1937. Elle ne sera pas sauvée par le prince et elle ne rêvera pas du véritable amour. Elle rêve de devenir une leader »[4]. Inclusive, féministe cette nouvelle version n’aura plus grand-chose à voir avec l’œuvre originale[5]. Les 7 nains seront remplacés par des créatures magiques pour ne pas stigmatiser les personnes de petite taille. L’histoire d’amour deviendra celle d’une émancipation pour ne pas nourrir le patriarcat.
Dès septembre 2020, Disney avait institutionnalisé cette politique en lançant Reimagine Tomorow, un programme pour promouvoir la diversité et l’inclusivité dans la compagnie et ses productions. L’objectif affiché était que « 50% des personnages principaux et récurrents des productions du groupe Disney »[6] soient issus d’un groupe sous-représenté. En 2021, Dana Walden, la présidente de Disney Television, confirmait : « Nous recevons parfois des scénarios magnifiquement écrits qui ne remplissent pas nos conditions d’inclusivité, alors nous les refusons ! »[7]. Le message politique et l’inclusivité s’imposaient comme les premiers critères dans le choix des histoires, avant la créativité. Voilà qui relègue au second plan le talent, voire le génie, qui ne devrait souffrir d’aucune limite tant il peut surgir n’importe où, tant il est décorrélé de toute appartenance communautaire et cela explique la désaffection du public devant des histoires de plus en plus insipides. En effet, les spectateurs américains ou français n’ont jamais adhéré à cette « politisation » des œuvres de Disney. Un sondage réalisé, en octobre 2023, par l’IFOP pour Voyage pour nous, démontre, par exemple, que les Français sont majoritairement opposés aux réécritures woke des classiques de Disney. 62 % des Français y sont hostiles[8]. Ils sont 77 % à regretter que les 7 nains soient remplacés par des « créatures magiques » ; 70 % désapprouvent le fait de supprimer les scènes des baisers dans la belle au bois dormant ou Blanche-Neige.
Le Mea culpa de Bob Iger
C’est cette politique, dont il a pourtant été le principal inspirateur, avec laquelle Bob Iger semble désormais vouloir prendre ses distances. Rappelé à la tête du groupe après une courte retraite, il a présenté son mea culpa, le 29 novembre dernier, lors d’un séminaire à New York, regrettant : « les créateurs ont perdu de vue ce que devrait être leur objectif numéro 1. Nous devons d’abord divertir. Il ne s’agit pas d’envoyer des messages »[9]. Cela rappelle le précédent de Netflix. Au premier semestre 2022, la plateforme avait perdu plus d’un million d’abonnés à cause de son tropisme wokiste. « Grâce à la puissance de ses algorithmes, le géant du streaming a compris que certains de ses abonnés délaissaient, en effet, ses contenus les plus woke. Dans une note interne, le groupe a immédiatement rappelé à l’ordre ses salariés – une partie d’entre eux militait pour le retrait des spectacles de l’humoriste Dave Chappelle jugés transphobes par les activistes – « En tant qu’employés vous devez soutenir le principe selon lequel Netflix offre une diversité d’histoires, même si vous trouvez que certains titres sont contraires à vos propres valeurs personnelles. Selon votre rôle, vous devrez peut-être travailler sur des titres que vous percevez comme nuisibles. Si vous avez du mal à prendre en charge notre gamme de contenus, Netflix n’est peut-être pas le meilleur endroit pour vous ». Après cette mise en garde et quelques licenciements, la plateforme a regagné 10 millions d’abonnés »[10].
Disney suivra-t-il la même voie ? Si le mea culpa de Bob Iger semble marquer la fin d’une époque, les créateurs du studio ont été et demeurent des ambassadeurs zélés de cette ligne wokiste[11].
Pour retrouver la magie de Disney, la créativité, l’histoire, les personnages doivent reprendre la place occupée aujourd’hui par l’idéologie. Quitte pour cela à procéder à quelques changements dans les équipes ! 8 000 suppressions de postes viennent, d’ailleurs, d’être annoncées… To be continued.
[1] Selon une enquête Axios-Harris, citée par le journal Le Monde, le 23 juin 2023.
[2] Le Figaro, 27 juin 2023.
[3] https://www.observatoireduwokisme.fr/post/disney-censure-de-nombreux-dessins-animés-sur-sa-plateforme-pour-enfants
[4] https://www.lefigaro.fr/cinema/le-nouveau-film-blanche-neige-enchaine-les-polemiques-20230810
[5] Le fils du réalisateur du dessin animé de 1937 juge, d’ailleurs, cette adaptation irrespectueuse du travail de Walt Disney et de son père. https://www.lefigaro.fr/cinema/remake-de-blanche-neige-mon-pere-et-walt-disney-se-retourneraient-dans-leurs-tombes-20230822
[6] https://www.lefigaro.fr/culture/la-polemique-gonfle-entre-disney-et-les-promoteurs-de-la-loi-don-t-say-gay-en-floride-20220330
[7] Cité par Samuel Fitoussi, dans son très éclairant ouvrage Woke Fiction, comment l’idéologie change nos films et nos séries, le Cherche midi, septembre 2023.
[8] Les 18-35 ans sont moins opposés à ces modifications que le reste de la population (- 8 points – 54 %).
[9] https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/01/le-patron-de-disney-appelle-ses-createurs-a-se-concentrer-sur-le-divertissement-pas-sur-le-message-politique_6203247_3234.html
[10] https://www.ceru.fr/le-wokisme-fait-il-encore-recette-dans-les-entreprises/
[11] C’est, par exemple, suite à des pressions internes que Robert Chapek, le prédécesseur de Bob Iger, a été obligé de prendre position contre la loi proposée par le gouverneur de Californie Ron DeSantis, visant à interdire de parler d’homosexualité et de genre à l’école primaire. Au début, il refusait de s’engager dans ce combat, mais il s’est fait tordre le bras par ses employés les plus indispensables, les créateurs. https://www.lefigaro.fr/cinema/accuses-de-wokisme-les-studios-disney-tombent-en-disgrace-aux-etats-unis-20230627