Marc Lomazzi vient de publier, Ultra écologicus, une enquête sur les nouveaux croisés de l’écologie. Pendant plusieurs mois, il a rencontré de nombreux activistes et militants issus des différentes familles de l’écologie radicale : écoféministes, néo-utopistes, antispécistes, décroissants, collapsologues, survivalistes… Véritable plongée au coeur de l’écologie radicale… Nous reviendrons avec lui sur la montée de la violence politique et de la radicalité. Nous vous invitons à participer à une visioconférence via Livestorm. Il vous suffit de vous inscrire sur le lien ci-dessous pour participer à cette web-rencontre du CERU.
Mois : février 2022
Dissolution de la cellule Demeter: «La décision du tribunal administratif est une atteinte à l’État de droit»
Tribune parue dans le Figarovox, le 8 février
L’association L214 a obtenu la mise à l’arrêt de la cellule de gendarmerie Déméter qui luttait contre les vols de matériel ou les actes militants dans les exploitations agricoles. La décision du tribunal n’est pas seulement juridique, mais idéologique, argumente Philippe Fontana.
L’immixtion des juges dans la conduite des affaires de l’État continue. Dans une décision rendue le 1er février dernier, le tribunal administratif de Paris a enjoint le ministre de l’intérieur à «faire cesser les activités de la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole», plus connue sous le nom de Déméter.
Plusieurs associations «antispécistes», dont L-214, l’avaient saisi, dès avril 2020 pour ce faire, essentiellement sur le fondement des dispositions de la CEDH, garantissant la liberté d’expression et la liberté d’association.
Le monde agricole est victime d’une délinquance procédant de deux types de mobiles. L’un, idéologique : la lutte contre la consommation de viande, recourant parfois à des méthodes criminelles, comme l’incendie d’un abattoir de viande dans l’Ain en septembre 2018 par des activistes antispécistes. L’autre, purement délictuel : le vol de matériel agricole.
Pour présenter Déméter, la gendarmerie avait exposé que : «la nécessité d’appréhender la globalité de phénomènes des atteintes au milieu agricole (…) englobe la prévention et le suivi non seulement des actes crapuleux mais aussi des actions de nature idéologique qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques.»
Dans sa décision, le Tribunal juge que ce suivi renvoie à d’autres actions, qui ne constituent pas en elles-mêmes des «infractions pénales» (sic). Sont mentionnées, astucieusement, les «actions anti fourrures» et les «actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse».
En incluant de telles actions dans le périmètre de la mission Déméter, le ministre commettrait une erreur de droit, ces missions ne relevant pas des compétences de la gendarmerie, telles que définies par l’article L 421-1 du code de la sécurité intérieure.
Surtout, dans un attendu de principe, le Tribunal affirme que : «cette mission de renseignement et d’information ne peut avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions».
Or, cette affirmation apparaît comme manifestement contraire à la lecture du texte de cet article L 421-1 exposant les missions confiées à la gendarmerie par le législateur. S’appuyant sur une maladresse de rédaction, l’utilisation par la gendarmerie des termes «actions de nature idéologique» dans son dossier de presse, le tribunal administratif de Paris concourt à un véritable désarmement de l’État, en neutralisant une des missions de la gendarmerie. Qu’on en juge en droit.
La rédaction de l’article L 421-1 mentionne explicitement une mission de renseignement : «La gendarmerie nationale est une force armée instituée pour veiller à l’exécution des lois (…) Elle contribue à la mission de renseignement et d’information des autorités publiques».
S’il fallait se convaincre de la dénaturation de ce texte, il suffirait de revenir à la lecture des travaux parlementaires ayant abouti au vote de la loi du 3 août 2009, qui définit ses missions.
Celle de renseignement est caractérisée par son autonomie, au même titre que ses missions de police judiciaire ou de la route.
Dans les travaux de rédaction de la loi, cette mission particulière de «renseignement et d’information des autorités publiques» est clairement exposée. À aucun moment, elle n’est soumise à d’autres finalités, tels le maintien de l’ordre public ou la prévention des infractions, contrairement à la motivation adoptée pour supprimer Déméter.
Sa conséquence ? La suppression des outils nécessaires à l’État pour détecter les «signaux faibles», ne débouchant pas nécessairement sur un trouble à l’ordre public ou sur la commission d’une infraction. Ne pas avoir anticipé celui des gilets jaunes est une faute. L’État de droit est nécessaire, tout comme celui du droit à l’État.
En outre, cette cécité est aggravée par la violence de ces mouvements antispécistes : plusieurs de ces militants ont été condamnés en avril 2019 à des peines de prison ferme pour des dégradations de boucheries par le tribunal correctionnel de Lille.
Le législateur peut modifier les missions imparties à la gendarmerie. Mais c’est à lui seul qu’incombe ce rôle.
À moins de méconnaître une nouvelle fois la séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge administratif de le décider. D’autant plus qu’à cette injonction de faire cesser les activités de Déméter, est ajoutée une astreinte de 10.000 euros par jour, moyen de contrainte sur l’administration. Le procédé est assez singulier lorsque l’on constate que presque deux ans séparent le dépôt de la demande de la date de publication de la décision. Le ministre de l’intérieur a affirmé qu’il se plierait à l’injonction du tribunal administratif de Paris ; il devrait plutôt en interjeter appel. Effectivement, celui-ci n’étant pas suspensif, l’astreinte pouvait apparaître comme prohibitive, même si son caractère n’est pas définitif.
Droits de succession: «La justice et la transmission contre l’individualisme et la déconstruction»
Tribune parue, le 27 janvier, dans le Figaro vox
Alors que la question des droits de succession s’invite dans la campagne présidentielle, la doctorante Alice Clergeau s’interroge sur le sens sociétal et philosophique de cet impôt constitutif des valeurs républicaines héritées de la Révolution.
Alice Clergeau est doctorante en droit et sciences politique et contribue au CERU , le laboratoire d’idées universitaires.
Les droits de succession, cet impôt «sur la mort» comme le qualifie le numéro deux du Congrès des Républicains Éric Ciotti, sont désormais au cœur de ce début de campagne présidentielle. De Jean-Luc Mélenchon à Valérie Pécresse, deux visions symétriques s’opposent : instrument insuffisant de répartition pour la gauche ou outil de transmission intergénérationnel pour la droite, l’impôt sur les successions ne cesse d’alimenter le clivage partisan que certains croyaient mort et enterré.
Rappelons que cet impôt né de la Révolution taxait l’héritage à la hauteur de 1% seulement. Ce dernier a réellement augmenté au XXesiècle jusqu’à atteindre 40% au lendemain de la Grande Guerre pour la reconstruction du pays. Ce taux retombe à 15% dans les années 50 pour être accompagné d’abattements et d’exonérations favorisant ainsi la transmission du patrimoine. C’est sans surprise que le Président Mitterrand tout comme le Président Hollande entreprirent des réformes pour contrer celles de leurs prédécesseurs : une attitude qui démontre le caractère intrinsèquement politique de l’impôt.
Pour les Français, l’impôt sur les successions n’a pas à être un outil de redistribution. La proposition de Jean-Luc Mélenchon «au-delà de 12 millions, je prends tout» interroge sur la fonction attendue de l’impôt dans son ensemble. L’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme implique que «Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés». Ce dernier fait donc de l’impôt un levier de financement des dépenses publiques. Le principe d’égalité qui lui est associé encourage également le politique à lui attribuer une fonction redistributive, arme de bataille pour la réduction des inégalités. Cependant, seulement 16% des Français partagent cette perception de l’impôt sur les successions, selon le dernier sondage d’OpinionWay-Square pour Les Échos. A contrario, 81% des répondants jugent les droits de succession trop lourds et souhaitent une baisse de ces derniers pour transmettre «le plus de patrimoine à leurs proches». Cette réaction conforte le projet de Valérie Pécresse qui associe la donation aux enjeux de transmission de patrimoine. La candidate LR à la présidentielle propose des dons défiscalisés jusqu’à 100 000 euros tous les 6 ans venant des parents ou des grands-parents afin d’accompagner les jeunes dans leurs études et leurs débuts de vie active.
Bien que le dernier rapport de l’OCDE préconise une augmentation des droits de succession pour davantage d’équité, il ne faut pas négliger la spécificité de nos finances publiques. Si nous avons tant recours à l’impôt, c’est parce que la France reste championne en termes de dépenses publiques : elles représentent plus de 62% du PIB contre 55% pour l’UE. En dépit d’une dette avoisinant le chiffre exceptionnel de 3 000 milliards d’euros pour équilibrer les comptes publics, les recettes fiscales occupent une place dominante. Parmi ces dernières, la part des droits de succession et de donation représente moins de 5 %. Il ne s’agit pas ici de minimiser le poids de cet impôt, mais bien de le repositionner dans cet environnement complexe.
Le cas français se distingue de beaucoup de ses voisins. Il fait partie des pays de l’OCDE taxant le plus la transmission du patrimoine. Contrairement à la Grèce ou au Portugal, la France met un point d’honneur à taxer lourdement les successions et les donations, signe que l’objectif de justice sociale est installé. Toutefois la fonction incitative de l’impôt qui se déploie progressivement est à considérer avec davantage d’attention. En effet, le système de dérogations et d’abattements offre des moyens pour encourager l’accompagnement des nouvelles générations. En suivant une logique libérale, limiter la taxation de la transmission favorise la consommation et l’investissement. Pour autant, bien que les taux d’imposition sur les successions soient progressifs, 45% d’imposition sur une fortune de plusieurs millions reste moins lourd à supporter que pour un héritier taxé à 20% sur une succession estimée entre 15 932 et 552 324 euros après abattements. Dès lors, la classe moyenne se retrouve comme souvent piégée. La volonté de taxer davantage les patrimoines qui concentrent la richesse, soit 0,1% de la population qui hérite 13 millions en moyenne de patrimoine d’après le CAE, n’est pas ridicule, mais reste simpliste. Cela revient à négliger les comportements d’évitement fiscal et à oublier que nous évoluons dans un système mondialisé et interconnecté qui pousse à se diriger au-delà des frontières si nécessaire.
En réalité, aucun consensus n’émerge entre les économistes. Ce débat ouvre notre regard sur deux choses : les limites de l’imposition à la française et le rapport qu’entretiennent les Français à la famille. Premièrement, la fiscalité reste un sujet de crispation, quelle qu’elle soit. La méconnaissance de ses règles provient de la densité législative qui rend cette matière illisible et instable. Cet environnement favorise la défiance à l’égard de l’État et des élus, il conduit naturellement à des tensions. De plus, elle demande une certaine souplesse pour rester en phase avec les mutations de notre société qui cède son patrimoine de plus en plus tard en raison de son vieillissement. Si la succession coûte cher aux héritiers et n’est reçue qu’à l’âge de la retraite, autant avoir un patrimoine limité assurant seulement la fin de vie. Néanmoins ce repli sur soi, voire cet individualisme, semble être refusé par la plupart des Français qui tiennent à ce que leur effort soit transmis à leurs descendants. C’est une certaine idée du travail et de la famille en rupture avec un monde en quête de déconstruction permanente. Il est vrai que ce modèle peut être surprenant, mais il démontre l’attachement d’un peuple à la transmission d’un héritage fiscal, mais aussi culturel et de civilisation. À l’image d’une nation enracinée et solidaire construite au lendemain de la Seconde Guerre par les gaullistes, les droits de succession portent aujourd’hui un souffle de justice et de transmission nécessaire à notre société. Bien qu’imparfait et réformable, cet impôt s’inscrit pleinement dans la pensée du Président Chirac annonçant que «dans une époque en mouvement, les Français se tournent vers le point fixe qu’est la famille». Mélanger ce sujet aux questions de la méritocratie comme le font certains cadres LREM n’a aucun sens. La promesse républicaine est au contraire la possibilité que chaque individu puisse évoluer, quel que soit son milieu d’origine. Mais comme le prévoyait Tocqueville, dans un monde où les inégalités sont devenues minces, la moindre d’entre elles devient insupportable.