Tribune parue le 29 octobre sur Atlantico
Les intersectionnels, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
Mais de là à invoquer la cause des femmes et des LGBT pour justifier leur soutien à la lutte armée palestinienne, il ne faut pas manquer de souffle ! Et pourtant ! Depuis quelques jours sur les campus, comme dans les rassemblements de soutien à la Palestine, on voit fleurir des banderoles siglées « Queers pour la Palestine Libre » « Palestine is a Queer issue ! » et autres joyeusetés toutes plus incongrues les unes que les autres. Plus de 80 organisations féministes, LGBT et Queer et des personnalités comme l’actrice Adèle Haenel ou Didier Lestrade, le co-fondateur d’Act-up, viennent même de signer un appel[1] pour « dénoncer le nettoyage ethnique mené par le régime israélien en Palestine réaffirmant que la lutte pour la libération de la Palestine est aussi une cause féministe et LGBTQI+, contrairement à ce que le pinkwashing de l’État d’Israël voudrait laisser croire ».
Comment peut-on être capable de déceler et de dénoncer les traces de pinkwashing dans la communication d’Israël, mais demeurer inapte à voir et qualifier correctement les crimes perpétrés par le Hamas : femmes enceintes éventrées, enfants démembrés, homosexuels jetés du haut d’immeubles ou victimes de « viols curatifs »[2] ?
Deux types d’attitudes semblent pouvoir expliquer un tel aveuglement sélectif. D’un côté, l’opportunisme stratégique d’une partie de la gauche anticapitaliste qui espère ainsi raviver le projet révolutionnaire en l’irriguant à la source de l’islamogauchisme. Même s’ils peuvent être conscients des horreurs commises, les adeptes de cette extrême gauche s’obligeront toujours à nier les évidences par calcul. Leur soutien« inconditionnel » à la lutte armée en Palestine s’inscrit dans la lignée et les termes déjà employés par leur grand ancien, Edwy Plenel, pour justifier l’attaque du groupe terroriste Septembre Noir contre les athlètes israéliens lors des J.O. de 1979[3]. Ce dernier écrivait : « L’action de Septembre Noir […] a bouleversé les arrangements à l’amiable que les réactionnaires arabes s’apprêtaient à conclure avec Israël (…) Aucun révolutionnaire ne peut se désolidariser de Septembre Noir. Nous devons défendre inconditionnellement face à la répression les militants de cette organisation (…) ». Au nom de cette prétendue solidarité révolutionnaire, l’ultragauche espère en réalité profiter de la crise du Proche-Orient pour mettre le feu aux quartiers et enrôler une partie des jeunes musulmans dans leurs combats révolutionnaires contre l’Occident capitaliste et impérialiste.
De l’autre côté, on retrouve toute une galaxie d’activistes woke. « Éveillés », ces derniers sont convaincus d’être les seuls à déceler une réalité que les autres ne perçoivent pas, celle des dominations invisibles, du racisme systémique, du schéma postcolonial, de la chape du patriarcat, voire du blantriarcat… Ils s’emploient à rendre visibles ceux qui ont été « invisibilisés », mais ne parviennent plus à voir la réalité qui leur fait face. À leurs yeux, le monde n’est plus qu’une arène binaire où s’affrontent indéfiniment les gentils dominés contre les méchants dominants. En réalité, tous les concepts woke agissent comme des filtres déformants. Ils effacent les exactions mêmes les plus terribles des « dominés » et déforment les actions les plus banales des « dominants » jusqu’à les rendre intolérables. Ainsi, même le fait apparemment anodin de tenir la porte à une femme ou de régler la note au restaurant peut se retourner contre les hommes qui pratiquent cette forme de galanterie. Pour Valérie Rey-Robert, cette « galanterie à la française » participerait, par exemple, de la culture du viol[4].
À force de tout regarder à travers ce prisme manichéen, une porte-parole de Du Pain et des Roses, se croit légitime à déclarer juste après avoir découvert les massacres du 7 octobre : « Notre féminisme c’est pas le féminisme raciste et islamophobe de Schiappa et Borne. On est anti-impérialistes ! Le premier oppresseur des femmes, des LGBT et des enfants en Palestine, c’est l’État colonial d’Israël ! [5]».
Quelle est donc ce féminisme qu’elle oppose au féminisme raciste ? Asma Lamrabet, une docteure marocaine souvent présentée comme « progressiste » bien que proche de Tariq Ramadan, a multiplié les conférences sur les campus français pour tenter de le définir en dépassant le féminisme universaliste occidental pour proposer comme alternative le « féminisme islamique ». Un féminisme qui justifie, par exemple, la possibilité pour les hommes de frapper leur femme, en ces termes : « il est à noter ici que nombreuses sont les femmes qui finissent, lors d’une scène conjugale, par sombrer dans l’hystérie. Par conséquent, l’expression « frappez-les » signifie donner une tape légère sur le corps, sans aucune violence et comme dernier recours »[6]. Belle leçon de féminisme, mais puisque cela participe de la lutte contre la domination blanche. Dont acte !
Les militants de Du Pain et des Roses poursuivent sur la même voie quand ils affirment dans un texte publié, le 17 octobre dernier, que : « la libération des femmes du monde entier passe nécessairement par la lutte contre l’impérialisme : les Palestinien·nes qui luttent pour leur autodétermination sont les allié·es des femmes et des LGBTI de France et des États-Unis contre l’impérialisme de Macron et Biden. Ces derniers soutiennent Israël au Moyen-Orient comme ils oppriment et opposent différents groupes sociaux sur le territoire national, dans le même objectif : protéger un système capitaliste patriarcal, dans lequel une minorité vit aux dépens de l’immense majorité, des peuples opprimés, des femmes et des LGBTI ».
Qu’importe si ce discours nie la réalité que vivent les femmes et les personnes LGBT dans les pays qui appliquent la charia ! Que pèse la vérité face à la nécessité morale de mener le combat même fantasmé, en faveur de la libération des dominés ! Françoise Vergès, politologue et égérie du féminisme décolonial, enfonce encore le clou. Dans un tweet publié au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas, elle écrit : « D’un côté une occupation coloniale avec sa violence systémique, son racisme structurel, son illusion de démocratie, le vol des terres, la torture, de l’autre un combat légitime pour la libération. Rien d’autre ».
Rien d’autre ? Vraiment ! Ce rendent-ils seulement compte que si les idoles qu’ils défendent accèdent au pouvoir ces militants intersectionnels, LGBT, Queer seront les premiers égorgés[7] ?
[1] Appel lancé par le collectif Du Pain et des Roses, la branche féministe et LGBT du mouvement trotskyste Révolution permanente.
[2] Par le viol « curatif », les agresseurs prétendent « guérir » de leur mal les homosexuels et plus spécifiquement les lesbiennes en les forçant à avoir des rapports sexuels avec des hommes.
[3] Suite à une prise d’otage, 11 athlètes furent tués.
[4] Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française, édition Libertalia, Pemière édition 2019.
[5]https://twitter.com/RevPermanente/status/1716106801672860065?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1716106801672860065%7Ctwgr%5E630a79d6038c8f48fc56f9a1e4c0d4a807068958%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.revolutionpermanente.fr%2FPlus-de-80-organisations-et-personnalites-signent-une-tribune-feministe-pour-la-Palestine
[6] Elle poursuit : « Cette mesure décrite plus précisément dans le tafsîr comme étant une petite tape sur le corps est en fait une mesure plus symbolique que punitive. La loi musulmane précise qu’y recourir est exceptionnel et est soumis à des restrictions claires. Il est bien entendu que s’agissant d’une petite tape, elle ne doit en aucun cas être sévère au point de causer des blessures ou même laisser une marque sur le corps ». Asma Lamrabet, Musulmane tout simplement. Préface de Tariq Ramadan. Tawhid p.72-73.
[7] Le précédant iranien pourrait les inciter à mieux y réfléchir. En reprenant la terminologie coranique de la lutte entre déshérités et puissants, Khomeyni a donné l’impression que le mouvement révolutionnaire permettrait aux opprimés d’établir un nouvel ordre social. Il a ainsi bénéficier du soutien de la gauche révolutionnaire à travers le monde et au sein de son pays. Après son accession au pouvoir, ces militants comptèrent parmi les premières victimes du régime.